Abordons ce sujet si important de la transition énergétique.
27 septembre 2021 8 min
Christian Rod

Spécialiste énergie
Romande Energie

Le stockage de l’énergie, sous ses multiples formes, occupe un rôle central dans de très nombreuses situations. Mais s’il sait se faire discret pour l’utilisateur, sa conception peut soulever de nombreuses questions que cet article tente de mettre en lumière.

Quelques définitions

Avant d’entrer dans le cœur du sujet de cet article, il est important de rappeler quelques notions nécessaires à la compréhension des enjeux liés à la conception d’un système de stockage d’énergie.

On peut séparer les systèmes de stockage d’énergie en deux grandes familles : les systèmes mobiles, appelés aussi « embarqués », et les systèmes stationnaires. Dans le premier cas, le stockage assure la présence d’une source d’énergie durant un déplacement. Il s’agit sans aucun doute de la catégorie la plus familière dans la vie quotidienne puisqu’elle englobe aussi bien les téléphones portables que les véhicules thermiques comme électriques. Dans le cas des systèmes stationnaires, le but du système de stockage est d’atténuer, ou même d’annuler, les variations de consommation ou de production d’énergie. Cette catégorie comprend ainsi non seulement tous les systèmes d’alimentation électrique de secours, mais également les stockages thermiques tels que les réservoirs d’eau chaude qui accompagnent la majorité des systèmes de chauffage des bâtiments.

Malgré ces différences, tous les systèmes de stockage partagent un point commun : leur fonctionnement par cycles. Un cycle se compose de phases de charge, de phases de stockage et, finalement, de phases de décharge. Comme décrit quelques paragraphes plus bas, c’est en étudiant les caractéristiques de ces cycles qu’il est possible de déterminer quel système sera le plus à même de répondre aux besoins d’une application.

Si ces caractéristiques peuvent se révéler nombreuses et, pour certaines, passablement complexes, deux d’entre elles revêtent une importance particulière. Le premier de ces points-clés est le rendement. Il s’agit du rapport entre l’énergie extraite du système et celle préalablement stockée. Le second élément-clé est le temps. Celui-ci intervient aussi bien durant les phases de charge/décharge que pendant les phases de stockage, et détermine ainsi la puissance d’utilisation du système de stockage.

Cette dernière grandeur présente également une grande importance et doit être considérée avec attention. En effet, de la même manière qu’il existe des systèmes de stockage capables de contenir plus ou moins d’énergie pour un même volume ou un même poids, toutes les technologies ne sont pas égales du point de vue de la puissance qu’elles sont capables d’absorber ou de délivrer. On parlera ainsi de densité d’énergie et de densité de puissance. Ces deux grandeurs sont particulièrement significatives dans le cas de systèmes mobiles, comme le montre l’exemple de l’électromobilité décrit ci-dessous.

Quelques technologies de stockage d’électricité

En comparaison d’autres types d’énergies telle que l’énergie chimique, l’électricité se stocke avec difficulté. Ainsi, si les différents carburants usuels peuvent stocker une grande quantité d’énergie sous forme liquide ou gazeuse dans de simples réservoirs, le stockage de l’électricité requiert des technologies ou des systèmes plus complexes qui, pour la plupart, la transforment pour mieux la conserver.

Dans ce contexte, la technologie la plus commune est sans conteste celle des batteries. Celles-ci permettent de stocker l’énergie sous forme chimique. S’il en existe de très nombreuses variétés (plomb, lithium-ion, nickel-cadmium, lithium-fer-phosphate et même à l’eau salée), elles reposent toutes sur le même principe et font intervenir des réactions électrochimiques. Des réactions électrochimiques similaires permettent également de convertir l’électricité en combustibles de synthèse, contenant tous de l’hydrogène. Celui-ci est produit grâce à l’électrolyse de l’eau et peut être combiné à d’autres substances (carbone, azote, etc.) pour produire du méthane, de l’ammoniaque ou encore du méthanol. Ces combustibles peuvent ensuite être utilisés dans des systèmes thermiques classiques pour produire à nouveau de l’électricité ou d’autres formes d’énergie, notamment thermique ou mécanique.

À l’image du barrage de l'Hongrin, il est également possible de stocker de l’électricité sous forme mécanique, notamment grâce au pompage-turbinage. Dans un tel cas, l’électricité est utilisée pour actionner une pompe afin d’amener de l’eau dans un bassin surélevé. Cette eau peut ensuite être redescendue au travers de conduites, et son énergie potentielle convertie en électricité grâce à une turbine couplée à un alternateur. Cette technologie qui permet de stocker de très grandes quantités d’énergie (le barrage de l’Hongrin permet de stocker l’équivalent de 1,3 millions de batteries de véhicules électriques) est particulièrement bien adaptée à la Suisse grâce à la présence des barrages alpins.

Une autre solution permettant de stocker l’électricité sous forme mécanique est celle des volants d’inertie. Dans ce cas, l’électricité n’est pas utilisée pour déplacer de l’eau mais pour alimenter un moteur qui accélérera la rotation d’une masse tournante. L’électricité pourra être récupérée par la suite en freinant cette masse grâce à un alternateur.

L’électricité peut également être stockée sous forme de champs magnétiques. Cette technologie, connue sous son acronyme anglais SMES (Superconducting Magnetic Energy Storage) repose sur le principe des matériaux supraconducteurs permettant de conduire l’électricité sans aucune perte, générant ainsi un important champ magnétique. Celui-ci contient de l’énergie, qui sera ensuite retransformée en électricité. Néanmoins, nécessitant des froids extrêmes, cette solution est réservée à des applications très particulières.

Le choix d’un système de stockage

Lors de la conception d’un système de stockage spécifique, ce vaste panel de technologies, présentant chacune leurs particularités, soulève l’épineuse question du choix. Comment définir et dimensionner la solution qui permettra d’assurer au mieux le bon fonctionnement du système ? Afin de répondre à cette question, une approche systématique en plusieurs étapes est appliquée. Bien que pouvant paraître triviale, la première étape est la définition précise des besoins en étudiant les cycles de charge-stockage-décharge décrits plus haut. Cette étude permet en effet de définir précisément la quantité d’énergie et les temps de charge et de décharge caractérisant l’application. En combinant judicieusement ces valeurs entre elles et en plaçant le résultat dans un diagramme de Ragone, il devient possible d’effectuer un premier tri parmi toutes les solutions initialement à disposition. Si l’application nécessite le (dé)stockage rapide d’une quantité limitée d’énergie, le choix se portera sur des technologies présentant de grandes densités de puissance. Dans le cas inverse, lorsqu’il est nécessaire de stocker de grandes quantités d’énergie, mais que la charge et la décharge du système doivent s’étaler sur de périodes plus longues, les technologies caractérisées par des plus grandes densités d’énergie seront privilégiées.

Il existe en effet souvent un compromis à faire entre ces deux aspects. Lorsqu’un tel compromis n’est pas possible, le système de stockage devra être surdimensionné selon l’un ou l’autre de ces critères. L’analogie entre l’eau et l’énergie peut être utilisée pour illustrer ce constat, notamment en comparant un système de stockage d’énergie à une bouteille dont la contenance et le diamètre du goulot seraient directement liés. Dans le cas d’un système surdimensionné du point de vue de sa capacité de stockage, une bouteille d’un volume trop important serait utilisée afin de bénéficier d’un goulot permettant d’assurer le débit nécessaire au remplissage. Dans le cas inverse d’un surdimensionnement de la puissance, c’est le goulot de la bouteille qui serait trop large par rapport aux besoins auxquels correspondrait la contenance. De tels surdimensionnements peuvent entraîner des surcoûts importants et prétériter sévèrement la viabilité économique du système. Dans ce cas, il peut être intéressant de faire appel à l’hybridation, une approche pouvant s’appliquer aussi bien à la production d’énergie qu’à son stockage.

Comme leur nom l’indique, ces systèmes sont composés de plusieurs technologies combinées de manière à bénéficier de leurs avantages sans subir leurs inconvénients. Les véhicules hybrides en sont un excellent exemple. Le réservoir d’essence y est utilisé pour stocker une grande quantité d’énergie et assurer ainsi l’autonomie. Quant à la batterie et au moteur électrique, ils interviennent lors des accélérations ou à basse vitesse, des situations dans lesquelles les performances du moteur thermique sont moindres. Ils permettent également de récupérer l’énergie au freinage, ce dont le système thermique n’est pas capable seul.

Le cas de l’électromobilité

Les véhicules électriques sont un cas d’étude permettant d’illustrer particulièrement bien les enjeux liés à la conception d’un système de stockage d’énergie. En ce qui concerne la caractérisation des besoins, celle-ci est directement liée à l’utilisation du véhicule. Ceux-ci présentent une consommation moyenne de l’ordre de 20 kWh pour 100 km. Ainsi, les valeurs d’autonomie de 300 à 400 km faisant actuellement référence nécessitent de stocker entre 60 kWh et 80 kWh. La décharge est quant à elle donnée par la puissance consommée par le moteur électrique. Celle-ci se situe autour des 100 kW pour les petites voitures citadines et est comprise entre 200 kW à 300 kW pour les modèles plus sportifs. Il s’agit ici bien évidemment de valeurs maximales ne correspondant pas à un fonctionnement moyen, celui-ci étant plus proche de 15 à 25 kW. Finalement, en ce qui concerne la charge, elle est bien évidemment liée au type de bornes utilisées. La puissance de ces dernières se situe entre quelques kW pour les solutions de recharges lentes, alors que les solutions les plus rapides présentent actuellement des puissances de plus de 100 kW.

La combinaison de ces différentes valeurs permet de définir des temps de charge et de décharge de l’ordre de l’heure. Parmi toutes les technologies de stockage d’électricité, les batteries sont celles dont les caractéristiques s’approchent le plus de cette cible. Néanmoins, il existe également de nombreuses technologies pouvant présenter d’importantes particularités. Dans le cas des véhicules électriques, comme dans celui de l’immense majorité des applications mobiles, le poids et le volume sont des facteurs-clés. En effet, la consommation d’un véhicule est directement liée à son poids. Si le système de stockage est trop lourd, une part potentiellement importante de l’énergie stockée sera utilisée pour transporter le système de stockage lui-même. Dans de tels cas, il est donc nécessaire de favoriser les technologies présentant les plus grandes densités d’énergie et de puissance. C’est notamment pour cette raison que les batteries lithium-ion dominent le secteur de la mobilité électrique. À titre de comparaison, cette technologie permet de stocker entre 8 et 10 fois plus d’énergie qu’une batterie au plomb de même poids. Cependant, la densité énergétique des batteries lithium-ion est plusieurs dizaines de fois inférieure à celle de l’essence, expliquant l’autonomie encore inférieure des véhicules électriques.

Qu’en est-il des impacts ?

Comme toutes les autres manipulations de l'énergie, le stockage impacte l’environnement. Le pompage-turbinage nécessite de noyer partiellement des vallées, la production d'hydrogène par électrolyse consomme d’importantes quantités d’eau et la production de batteries implique l'utilisation à la fois de matériaux et d’énergie dont l’extraction et la production ont elles-mêmes des conséquences. Il est ainsi particulièrement important d’inscrire le stockage d’énergie dans un contexte plus large et d’en étudier les impacts de manière aussi exhaustive que possible. Les analyses de cycles de vie sont la méthode la plus couramment appliquée pour répondre à ce type de problématique. En analysant toutes les étapes de vie d’une technologie, de sa production jusqu’à son élimination, elles permettent d’en quantifier les impacts selon plusieurs critères. Elles doivent cependant être employées avec le plus grand soin car elles sont particulièrement sensibles à la définition du système étudié et de ses limites.

Les impacts négatifs de la production de batteries sont ainsi un argument souvent opposé aux incitations à la transition vers l'électromobilité. Néanmoins, de très nombreuses études ont montré que, si ces impacts ne sont effectivement pas négligeables, ils sont plus que compensés sur la durée de vie des véhicules électriques, à la condition que ces derniers soient alimentés par une électricité elle-même pauvre en carbone.

La lecture de l’article de Paul Martin, dûment documenté et référencé, permet de se faire une bonne idée de la complexité de la problématique des impacts environnementaux du stockage d’énergie.

Pour conclure

L’augmentation de la consommation d’électricité, une forme d’énergie difficile à stocker, et le développement des énergies renouvelables intermittentes, comme le solaire et l’éolien, font du stockage d’électricité l’une des pierres angulaires de la transition énergétique en Suisse. Comme le décrit cet article, la maîtrise de cette problématique complexe nécessite des compétences à la fois pointues et variées permettant d’évaluer finement chaque situation, de manière à pouvoir y apporter la solution la plus adaptée, notamment en ce qui concerne les coûts. Car c’est souvent cette métrique qui est la plus importante dans le contexte de la transition énergétique. Il est en effet impératif de limiter l’impact économique du stockage de l’électricité sur le coût supporté par le consommateur final. Ce constat est d’autant plus vrai pour les industries pour lesquelles l’énergie peut représenter une part importante des dépenses. Seul le déploiement des technologies les plus adaptées tout au long de la chaîne de production et de distribution permettra d’atteindre cet objectif. Forte de son réseau dense de hautes écoles, de centres de recherche et de son industrie de pointe, la Suisse possède cependant d’excellents atouts pour relever ce défi avec succès.


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