Apprenez-en plus sur ce type de centrales.
15 mars 2021 8 min
Hervé Henchoz

Spécialiste en durabilité
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Le décalage entre production et consommation d’électricité nécessite des ajustements constants pour que l’injection de courant et le soutirage soient toujours à l’équilibre. En tant que dispositifs de stockage, les centrales de pompage-turbinage peuvent accumuler le surplus de courant produit (pompage) pour le restituer plus tard, pendant les périodes de pénurie (turbinage). Un rôle stratégique pour la stabilité du réseau qui prendra encore plus d’importance au cours des années à venir avec le développement massif de la production photovoltaïque et éolienne.

Mix électrique

Le « mix électrique » met en évidence l’origine de production de l’électricité. En Suisse, l’hydraulique est le premier mode de production d’électricité. Les quelque 1300 centrales hydrauliques du pays fournissent environ 56% de la production d’électricité, dont plus de la moitié est issue des centrales à accumulation. Vient ensuite l’énergie nucléaire qui a couvert un peu plus de 35% des besoins en électricité en 2019. Loin derrière, on retrouve les énergies renouvelables diverses (biomasse, solaire, éolien) avec 4.2% de la production annuelle, les centrales thermiques classiques et centrales chaleur-force (non-renouvelable) avec 2.6%, et les centrales thermiques classiques et centrales chaleur-force (renouvelable) avec 1.6% de la production annuelle d’électricité.

pompage-turbinage

Décalage entre production et consommation d’électricité

Au-delà de ces valeurs annuelles, notre production d’électricité varie tout au long de la journée et des saisons. Les valeurs mentionnées ci-dessus cachent donc une variabilité relativement importante.

Prenons l’exemple des centrales hydrauliques au fil de l’eau, qui représentent environ 25% de la production annuelle totale d’électricité. Installées en bordure des fleuves et des rivières, les centrales au fil de l’eau turbinent directement et en continu l’eau qui afflue. Ces installations fournissent ainsi plus d’électricité en été lorsque la fonte des neiges fait grossir les cours des rivières, alors qu’en hiver la production est à son minimum. En 2020 par exemple, la production d’électricité grâce aux centrales au fil de l’eau s’est élevée à 889 gigawattheures (GWh) en janvier, contre 2146 GWh au plus haut de la production en juillet.

pompage-turbinage

Crédits :Evgeny555

Les productions d’électricité éolienne et photovoltaïque sont également largement variables, puisqu’elles dépendent directement de facteurs météorologiques (ensoleillement, vent). Cette variabilité se vérifie au niveau des saisons (pic de production photovoltaïque en été, et d’électricité éolienne en hiver), mais évidemment également d’heure en heure, contrairement à la production des centrales au fil de l’eau.

À l’inverse, les centrales nucléaires peuvent fonctionner en permanence en gardant une puissance de production constante.

pompage-turbinage

La demande en électricité elle non plus n’est pas constante. Elle varie en fonction des heures (variation de 45% entre le jour et la nuit), des jours de la semaine (variation de 20% entre la semaine et les week-ends) et des saisons (variation de 30% entre l’été et l’hiver).

Il en résulte une surproduction d’électricité en période de basse consommation, principalement en été, alors même que c’est à cette période que la consommation d’électricité est à son plus bas en Suisse. La Stratégie énergétique 2050, qui prévoit l’abandon progressif du nucléaire et le renforcement massif de la production d’énergies renouvelables, photovoltaïque et éolien en tête, devrait encore fortement accentuer cette variabilité de la production dans les décennies à venir.

Capacité de réglage

L’électricité ne pouvant pas être stockée sur le réseau de transport, il est nécessaire que l’injection de courant et le soutirage soient toujours à l’équilibre. Ce dernier est le garant de la sécurité et la stabilité de l’exploitation du réseau. Pour réussir à équilibrer offre et demande, il faut donc impérativement disposer d’une capacité de production suffisante en réserve pouvant être actionnée sans délai si la demande dépasse la production. À l’inverse, lorsque la production d’électricité est supérieure à la consommation, il faut pouvoir « évacuer » le courant excédentaire pour éviter un déséquilibre du réseau. On parle de « capacités de réglage ».

Cette capacité de réglage constitue une condition impérative pour le bon fonctionnement du réseau électrique et, par-là, pour le bon fonctionnement de notre pays. En plus des importations et exportations d’électricité avec les pays voisins, et pour renforcer notre indépendance énergétique, nous devons autant que possible stocker les excédents de production pour les valoriser le moment venu.

C’est là justement le rôle que jouent les centrales de pompage-turbinage en Suisse. Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Pompage-turbinage, de quoi parle-t-on ?

Nous avons tous en tête l’image du barrage, un ouvrage d’art qui permet de stocker de l’eau de manière temporaire dans un lac de retenue et de la turbiner ensuite pour fournir de l’électricité. On parle de centrale à accumulation. Dans cet esprit, un aménagement de pompage-turbinage est une forme particulière de centrale à accumulation, permettant non seulement de turbiner l’eau se trouvant dans le réservoir situé en amont de la centrale, mais également de pomper de l’eau depuis un bassin situé en aval de l’installation pour remplir à nouveau le bassin supérieur. C’est par exemple le cas entre le lac Léman et le lac de l’Hongrin, avec l’aménagement hydroélectrique des Forces Motrices Hongrin-Léman détenu à plus de 40% par Romande Energie. Sa puissance, doublée en 2017, atteint 420 mégawatts (MW) en turbinage et 480 MW en pompage. Cet aménagement produit environ un milliard de kilowattheures (kWh) de pointe par année, soit l’équivalent de la consommation de près de 300'000 ménages.

pompage-turbinage

Le pompage-turbinage est considéré comme la forme de stockage de l’électricité la plus efficiente et la plus avantageuse. Ces aménagements représentent ainsi 99 % de la capacité mondiale de stockage. En Suisse, les 19 installations actuellement en service représentent une puissance de pompage de 2700 MW. De nouvelles centrales sont en cours de développement ou de construction et devrait faire passer les capacités de pompage à 3600 MW d’ici la fin de l’année (projet Nant de Drance), puis à environ 5200 MW dans un avenir proche (projets Grimsel 3 et Lago Bianco).

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Exemple d’une installation de pompage-turbinage au barrage de l'Hongrin

Rôle capital pour la transition énergétique

Les installations de pompage-turbinage ne produisent pas d’énergie supplémentaire et s’accompagnent forcément de pertes. En effet, environ 20% à 30% d’électricité en plus est nécessaire pour pomper l’eau vers le haut par rapport à ce que l’on récupère en électricité avec la même quantité d’eau turbinée. Toutefois, ces centrales sont très importantes pour l’économie électrique.

En effet, grâce aux centrales de pompage-turbinage, il est possible de stocker l’énergie électrique excédentaire sous forme d’énergie « potentielle » lorsque la demande en électricité est inférieure à la production (pompage), et de la restituer lorsque la demande dépasse la production (turbinage). Une fonction de batterie qui peut donc véritablement contribuer à la sécurité d’approvisionnement et à la stabilité du réseau.

Par ailleurs, dans le contexte de la transition énergétique, les sources d’énergies renouvelables irrégulières (par exemple solaire et éolien) vont se développer fortement. À l’échelle suisse et européenne, la demande de pompage-turbinage devrait donc croître de manière significative au cours des prochaines années et décennies.

La Suisse, par sa topographie et sa situation centrale en Europe, possède des conditions idéales pour la mise à disposition d’une capacité de pompage-turbinage renforcée afin de participer, grâce à la flexibilité de ses centrales, à la stabilisation du réseau électrique européen. Plusieurs nouveaux projets sont d’ailleurs en cours de développement. C’est par exemple le cas de la centrale de Nant de Drance en Valais, qui devrait être mise en service en fin d’année. Avec ses 900 MW, la centrale de pompage-turbinage de Nant de Drance sera l’une des plus puissantes d’Europe. Située 600 mètres sous terre, entre les lacs de retenue d’Emosson et du Vieux Emosson, sa capacité de stockage est de 20 millions de kWh.

De nouveaux projets d’envergure voient le jour, mais parallèlement des recherches sont faites pour développer le pompage-turbinage à petite échelle, pour des centrales de petite puissance (inférieure à 1 MW) avec un temps de décharge de l’ordre de la minute à quelques heures, afin d’offrir une alternative intéressante aux solutions de stockage par batterie.

Ainsi, alors que les sources d’énergies renouvelables irrégulières sont amenées à se développer fortement, les dispositifs de pompage-turbinage devraient continuer à prendre de l’importance et à participer discrètement, mais significativement, à la transition énergétique.


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