Découvrez le rôle que l'hydrogène pourra jouer dans la transition énergétique.
20 octobre 2020 10 min
Christian Rod

Expert
Externe

Encore confiné au milieu de la recherche il y a quelques années, l’utilisation de l’hydrogène dans le contexte de la transition énergétique est aujourd’hui considérée pour des projets à court terme par les acteurs du domaine, privés comme publics. La France a ainsi annoncé un plan de plus de 7 milliards d’euros sur 10 ans afin de créer une filière pérenne dans ce domaine. En Suisse également, des acteurs privés investissent dans des usines de production d’hydrogène destiné à des applications énergétiques. Mais quelles sont exactement ces applications et comment ce gaz est-il produit ? Cet article a pour but d’apporter les principaux éléments de réponse et de donner un aperçu de ce qui sera sûrement un élément important du système énergétique de demain.

Les usages et la fabrication actuels de l’hydrogène

Au niveau atomique, l’hydrogène est l’élément le plus répandu de l’univers. Il rentre dans la composition de très nombreuses substances courantes telles que l’eau, où il est combiné à l’oxygène, et les hydrocarbures dans lesquels il est combiné avec des atomes de carbone.

Il peut également se rencontrer sous sa forme moléculaire pure, composée de deux atomes d’hydrogène. Aujourd’hui, cette substance est principalement utilisée dans la pétrochimie pour le raffinage du pétrole ou dans diverses applications industrielles comme la production d’ammoniac ou de plusieurs acides. Gazeux à température ambiante, l’hydrogène est rare dans la nature mais peut être fabriqué grâce à différents procédés dont l’impact environnemental, notamment au niveau des émissions de carbone, varie grandement.

Les méthodes dominant actuellement le marché consistent à l’extraire des hydrocarbures. On parle ainsi de reformage du méthane ou de gazéification de charbon. Ces procédés ont en commun de séparer les atomes d’hydrogène des atomes de carbone constituant les hydrocarbures fossiles et émettent ainsi du gaz carbonique, dont l’effet de serre est notoire. Pour cette raison, l’hydrogène produit à partir de sources fossiles est communément appelé hydrogène « gris ». Cette dénomination s’oppose à celle d’hydrogène « vert », réservée à une méthode de production n’émettant pas de gaz à effet de serre : l’électrolyse de l’eau.

Cette méthode consiste à séparer les atomes d’oxygène et ceux d’hydrogène constituant les molécules d’eau à l’aide d’un courant électrique. Si l’électricité nécessaire à cette opération est issue d’une source renouvelable, telle que le soleil ou le vent, la production d’hydrogène se fait sans émissions de carbone, justifiant ainsi son appellation.

Les potentiels dans le domaine de l’énergie

En plus de ces propriétés chimiques déjà exploitées, l’hydrogène possède une autre caractéristique importante : sa teneur en énergie. Comme pour d’autres substances, cette teneur, appelée « pouvoir calorifique », se mesure à la quantité d’énergie libérée par sa combustion. Un kilogramme d’hydrogène contient ainsi environ trois fois plus d’énergie que la même quantité de gaz comme le propane ou le méthane, couramment utilisés pour leurs propriétés énergétiques. Cette forte teneur en énergie et la possibilité d’une production décarbonée grâce à l’électrolyse de l’eau offre ainsi à l’hydrogène de nombreuses perspectives dans un futur pas si lointain.

L’hydrogène comme carburant

Une application couramment évoquée est son utilisation comme carburant, en remplacement des produits pétroliers actuellement utilisés. Bien qu’il soit possible de convertir l’énergie contenue dans l’hydrogène en mouvement à travers un moteur à explosion similaire à ceux dominant le marché de l’automobile, les véhicules à hydrogène actuels sont équipés d’une traction électrique alimentée par une pile à combustible. Ce dernier élément repose sur le principe inverse de l’électrolyse : l’hydrogène y est combiné avec de l’oxygène pour former de l’eau. Cette réaction chimique génère un courant électrique qui est utilisé pour alimenter le moteur. L’eau, quant à elle, est évacuée comme un gaz d’échappement.

L’utilisation d’hydrogène comme réserve d’énergie pour les véhicules présente plusieurs avantages en comparaison d’une batterie. Premièrement, la recharge du véhicule peut se faire plus rapidement. Il est en effet possible, comme pour les carburants usuels, de remplir en quelques minutes le réservoir d’une voiture à hydrogène alors que la charge rapide de la batterie d’une voiture électrique nécessite entre 15 et 30 minutes. Le second avantage de cette technologie est l’autonomie supérieure des véhicules utilisant ce carburant. Aujourd’hui, l’autonomie des dernières voitures électriques, disposant de batteries de 60 kWh, se situe aux alentours de 350 km. Les modèles à hydrogène comme la Toyota Mirai présentent des chiffres presque deux fois supérieurs. Cette différence, bien qu’importante sur le plan comptable, n’est pas forcément significative dans le cas des voitures privées utilisées majoritairement pour des courts trajets. En revanche, elle peut s’avérer décisive pour des applications où les besoins en énergie sont significativement plus importants que ceux en puissance. Le transport de marchandises sur des plus longues distances, notamment par camion, en est un parfait exemple. Dans ce domaine, la Suisse fait d’ailleurs office de pionnière puisque, depuis peu, de tels véhicules parcourent déjà nos routes.

En ce qui concerne les inconvénients, les voitures à hydrogène actuelles se distinguent par des prix significativement supérieurs à ceux de leurs équivalentes électriques. Cette différence s’explique notamment par des volumes de production, et donc des économies d’échelle, plus faibles, les coûts élevés des piles à combustible et la relative difficulté technique du stockage de l’hydrogène dans des réservoirs à haute pression.

Malgré ces quelques points négatifs, le bilan de l’hydrogène comme carburant reste globalement positif et il est quasiment certain que l’hydrogène vert jouera un rôle dans la mobilité décarbonée de demain. Les véhicules utilisant ce carburant y cohabiteront avec les véhicules électriques équipés de batteries, comme ils le font déjà aujourd’hui.

L’hydrogène comme stock d’énergie

La possibilité de produire de l’hydrogène à partir d’électricité puis d’effectuer la transformation inverse grâce à une pile à combustible offre une autre perspective particulièrement intéressante : le stockage d’électricité à moyen ou long terme. Il s’agit ici de la technologie du « power-to-gas », abordée dans un article précédent. Les excédents de production d’électricité renouvelable sont convertis en hydrogène qui est ensuite compressé puis stocké en prévision d’une future période de consommation excessive. À ce moment-là, l’hydrogène est à nouveau converti en électricité au travers d’une pile à combustible et permet de compenser le manque de production.

Cette forme de stockage présente l’avantage, en comparaison de l’utilisation de batteries, d’être mieux adaptée au stockage à moyen et long termes. Un tel stockage peut également être réalisé grâce à des installations de pompage-turbinage mais la capacité d’un tel système varie avec les saisons et la fonte des neiges. De plus, cette dernière technologie présente un potentiel de développement limité. Néanmoins, le stockage d’électricité par l’intermédiaire de l’hydrogène présente également son lot d’inconvénients. Le premier, mentionné plus haut, est lié aux problèmes rencontrés lors de la compression et du stockage de l’hydrogène à plusieurs centaines de bars. L’hydrogène étant un gaz extrêmement volatile, son stockage à haute pression nécessite des infrastructures lourdes dont les coûts sont encore prohibitifs pour une utilisation à large échelle dans le contexte du stockage d’énergie.

Il est cependant possible de pallier ce problème en combinant l’hydrogène avec d’autres composés afin d’obtenir des substances plus faciles à manipuler. En le combinant à du carbone à l’aide d’un réacteur dédié, il est possible d’obtenir du méthane de synthèse et de bénéficier ainsi de toute la maturité de la technologie liée au gaz naturel. Cette technologie, connue sous le nom de méthanation, a fait récemment l’objet d’un projet pilote à Sion. Toutefois, pour que cette transformation supplémentaire ait un sens du point de vue écologique, le carbone utilisé ne doit pas provenir de ressources fossiles. Dans le cas contraire, il créerait immanquablement des émissions lors de la reconversion du méthane en électricité et tout l’intérêt de la production verte d’hydrogène serait annulé.

Il est également possible de résoudre la problématique du stockage de l’hydrogène gazeux en le combinant à des composés chimiques liquides afin d’obtenir un fluide chargé en hydrogène et présentant des propriétés physiques similaires aux hydrocarbures traditionnels. Ces propriétés permettent là encore d’utiliser des infrastructures conventionnelles et de réduire ainsi les coûts liés au stockage. On parle alors de « liquides organiques porteurs d’hydrogène », plus connus sous l’acronyme anglais LOHC. L’hydrogène peut être ensuite séparé de ces fluides, qui pourront être réutilisés pour de futurs cycles de charge-décharge. Cependant, il s’agit d’une technologie en phase de maturation et dont l’exploitation à large échelle nécessitera encore quelques années.

Conclusion

L’hydrogène jouera sans aucun doute un rôle important dans le paysage énergétique suisse de demain, que ce soit dans le secteur de l’électricité ou de celui de la mobilité. Les constructeurs automobiles ne s’y trompent d’ailleurs pas puisqu’ils commercialisent déjà des véhicules, voitures et camions, fonctionnant à l’hydrogène. Les acteurs du domaine de l’énergie, électriciens comme gaziers, travaillent également sur le sujet comme le montrent les projets pilotes de Sion ou la centrale hybride d’Aarmatt.

Néanmoins, pour que cette transition ait un sens sur le plan écologique, il est impératif que l’hydrogène soit produit à partir d’électricité renouvelable. Et cela n’est techniquement et économiquement réaliste que s’il existe de forts excédents de production pouvant être convertis en hydrogène à coûts réduits. En effet, sur le plan énergétique, il n’y a pas de sens à transformer en hydrogène de l’électricité renouvelable alors que celle-ci fait encore globalement défaut aujourd’hui. De plus, au vu des faibles rendements de la chaîne énergétique de l’hydrogène, il est nécessaire de disposer d’une électricité bon marché afin de limiter les coûts de production. Une production renouvelable excédentaire, sans grande valeur sur le marché de l’électricité car dépassant la demande, serait ainsi une source idéale.

Pour que l’hydrogène contribue à décarboner la mobilité et à équilibrer production et consommation électrique, il est donc nécessaire de continuer à développer massivement les productions renouvelables, sous toutes leurs formes. Ce n’est qu’une fois que ces énergies seront majoritaires que l’hydrogène pourra déployer tout son potentiel.


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