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30 mars 2021 7 min
Christian Rod

Spécialiste énergie
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La route de la transition énergétique sur laquelle la Suisse est actuellement engagée implique un changement en profondeur de l’ensemble de notre système énergétique. La production, la distribution et la valorisation de tous les types d’énergie que les entreprises et les particuliers consomment quotidiennement doivent être adaptés afin de réduire leurs impacts sur l’environnement. Cette transformation massive remet en question les méthodes utilisées jusqu’à aujourd’hui pour concevoir nos systèmes énergétiques et doivent donc s’adapter à des problématiques toujours plus complexes.

Premièrement, une courte définition

Un système énergétique regroupe tous les éléments permettant la production, le transport, le stockage et l’utilisation d’énergie, sous l’une ou l’autre de ses formes. Cette notion englobe bien évidemment les installations techniques mais peut également être étendue à des éléments moins tangibles comme les textes légaux encadrant les différentes activités liées à l’énergie et définissant plus ou moins fortement ses différents marchés.

Les systèmes énergétiques d’hier et d’aujourd’hui

Les systèmes énergétiques d’hier, et dans une moindre mesure ceux d’aujourd’hui encore, se distinguent par trois caractéristiques principales : des secteurs pas ou peu connectés entre eux, une centralisation de la production et une forte dépendance aux énergies fossiles.

Lors du siècle dernier, la consommation finale d’énergie en Suisse est restée approximativement stable jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (environ 28 TWh par an) avant d’augmenter massivement jusqu’à atteindre en 2000 une valeur plus de 8 fois supérieure. Cette évolution a d’abord été supportée par les combustibles et les carburants pétroliers puis par le gaz et, dans une moindre mesure, l’électricité.

Au début du 21ème siècle, cette dernière forme d’énergie ne représentait que 22% de la consommation finale contre plus de 70% pour les énergies fossiles (combustibles pétroliers, carburants et gaz). Aujourd’hui, ces parts s’élèvent respectivement à 24.7% et 62.5% (Statistique globale suisse de l’énergie, 2001 et 2019) pour une consommation totale inférieure d’environ 5%. Ces chiffres montrent à la fois que le virage de la transition énergétique a bien été amorcé mais que le chemin à parcourir est encore long, aussi bien en termes d’impacts climatiques que d’autonomie énergétique. En effet, la Suisse, ne disposant pas de ressources fossiles, reste actuellement encore massivement dépendante de l’étranger. Ceci est d’autant plus vrai que la production d’électricité est elle-même assurée à près de 38% (Statistique suisse de l’électricité 2019) par des ressources non renouvelables et importées (nucléaire et combustibles fossiles).

En plus de leurs dépendances aux énergies fossiles, les systèmes énergétiques actuels sont caractérisés par leur topologie dite « centralisée ». L’énergie est produite, ou importée, en grande quantité et en quelques endroits précis avant d’être répartie et distribuée aux consommateurs finaux. Cette structure se retrouve aussi bien dans les gazoducs ou oléoducs, que dans le réseau électrique reliant les consommateurs finaux à quelques grandes centrales, dont la production annuelle alimente des millions de ménages.

La troisième caractéristique principale du système actuel est une forte séparation entre les principaux secteurs énergétiques. Ainsi, les transports s’appuient quasi exclusivement sur les carburants pétroliers et n’interagissent pas ou peu, à l’exception notable du rail, avec le secteur de l’électricité. De même, le gaz est essentiellement utilisé pour satisfaire des besoins en chaleur, que ce soit pour le chauffage des bâtiments ou des besoins industriels spécifiques.

Le système énergétique de demain

La transition énergétique que nous vivons aujourd’hui impacte chacune de ces caractéristiques, remettant profondément en question la conception, l’opération et la valorisation de nos systèmes énergétiques.

Pour ce qui est de la production d’électricité, la Stratégie énergétique 2050 s’appuie sur un fort développement des énergies renouvelables. Ainsi, cette feuille de route se fixait pour objectif d’augmenter la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (hors hydraulique) : de 2'500 GWh/an à 11'000 GWh/an entre 2017 et 2035, soit une production 3.5 fois plus importante. Cet essor doit être porté essentiellement par le photovoltaïque et l’éolien. Or, contrairement aux quatre centrales nucléaires qu’elles seront amenées à remplacer, ces technologies se caractérisent par un bien plus grand nombre d’installations, réparties sur l’ensemble du territoire avec une production unitaire inférieure de plusieurs ordres de grandeur. Une grande installation photovoltaïque produira ainsi entre 2 et 3 GWh par an, alors que la production annuelle d’une éolienne comme celle de Martigny se situe aux alentours de 5 GWh. Ces chiffres sont à mettre en relation avec les quelques 9’600 GWh produits annuellement par la centrale nucléaire de Leibstadt. La génération d’électricité de demain sera donc non seulement renouvelable mais également massivement décentralisée ; deux modifications entraînant leurs lots de défis.

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Mais le changement le plus important que subira le secteur de l’électricité sera probablement sa connexion de plus en plus forte avec les autres éléments du paysage énergétique. L’électrification grandissante de la mobilité et l’émergence de véhicules à hydrogène vert, produit à partir d’électricité renouvelable, entraîneront immanquablement un rapprochement du secteur électrique et de celui des transports. Un constat similaire peut être fait avec le chauffage des bâtiments, un secteur qui a vu sa consommation électrique diminuer ces dernières années avec l’interdiction des chauffages résistifs, mais qui observe aujourd’hui une forte progression des pompes à chaleur. Finalement, et comme détaillé dans un article précédent, la production d’hydrogène par électrolyse possède également le potentiel de rapprocher les secteurs électriques et gaziers.

Ainsi, si l’on parle aujourd’hui encore de systèmes énergétiques, il est certain que le pluriel ne sera plus de rigueur d’ici quelques années. La production, la distribution et la consommation d’énergie, sous ses multiples formes, ne formeront qu’un ensemble cohérent articulé autour du réseau électrique, qui assurera le lien entre les différents secteurs.

La nécessité d’une approche globale

Cette transformation en profondeur du paysage énergétique ne peut se faire qu’en adoptant de nouvelles approches concernant la planification des infrastructures du système énergétique de demain, et ceci à toutes les échelles. Or, la convergence des secteurs complexifie cette démarche en élargissant le périmètre d’étude de tous les nouveaux systèmes. Ainsi, hier une centrale photovoltaïque pouvait être dimensionnée en ne tenant compte que de son impact sur le réseau électrique local et d’un tarif de rachat garanti par la rétribution à prix coûtant (RPC). Aujourd’hui, le remplacement de cette forme d’encouragement par la rétribution unique (RU) et les interactions entre les secteurs imposent l’évaluation d’autres possibilités de valorisation au niveau local, telles que l’autoconsommation, la recharge de véhicules électriques ou encore la conversion des excédents en gaz. Chacune de ses applications est régie par des lois spécifiques et s’intègre dans des marchés et des secteurs d’activités distincts. Cet exemple illustre bien la diversité des compétences requises, qu’elles soient techniques, légales ou économiques, et la nécessité d’une approche globale et uniformisée.

En ce qui concerne les aspects quantifiables, soit les aspects techniques et économiques, le développement des moyens informatiques et des techniques de traitement des données est une aide précieuse. Ceux-ci permettent la définition de modèles exhaustifs et complexes, capables de refléter avec fidélité les interactions entre les différents éléments et vecteurs énergétiques des systèmes du futur. Ces modèles peuvent être ensuite utilisés pour réaliser des dimensionnements optimaux, une approche connue depuis de nombreuses années dans les milieux académiques et qui est aujourd’hui de plus en plus utilisée pour la planification de projets concrets.

Dans une telle approche, le principal défi réside dans la définition même de l’optimalité. Bien que dans le cadre de la transition énergétique, cette question puisse paraître à priori triviale, elle relève presque du choix de société. En effet, ne prendre en compte que les aspects énergétiques expose à une potentielle augmentation significative des coûts de l’énergie qui serait difficilement supportable pour diverses branches économiques. Au contraire, la seule considération des aspects financiers, telle que majoritairement pratiquée jusqu’à présent, pourrait continuer de favoriser les énergies fossiles encore quelques années, bien que leur compétitivité vis-à-vis des sources renouvelables ne cesse de diminuer.

La définition des systèmes énergétiques du futur ne tenant compte que de critères écologiques n’est pas nécessairement plus aisée. En effet, il existe une grande diversité de critères visant à quantifier les impacts sur l’environnement. L’un des plus couramment utilisé est la quantité d’émissions équivalentes de CO2. Mais si cette métrique permet de se faire une bonne idée de l’impact d’un système donné sur le réchauffement climatique, elle ne dit rien des autres conséquences négatives sur l’environnement. Ainsi, les émissions équivalentes de la production d’électricité par les centrales nucléaires sont comparables à celles de l’éolien et même inférieures à celles du photovoltaïque. Le retour sur investissement énergétique, soit la quantité d’énergie produite par un système durant toute sa durée de vie rapportée à celle nécessaire à sa réalisation, ou encore les unités de charge écologiques semblent donc des métriques plus appropriées, même si elles ne tiennent pas compte des aspects économiques.

Les aspects légaux du paysage énergétique de demain doivent également être considérés. En effet, la transition énergétique ne pourra se concrétiser que si les investissements nécessaires, essentiellement portés par le secteur privé, sont assurés d’une certaine rentabilité économique. Or, cette rentabilité est soumise à un ensemble de conditions cadres définissant par exemple les différents mécanismes d’encouragement. Ces conditions cadres doivent à la fois être suffisamment stables pour garantir la sécurité des investissements sur le long terme, favoriser les technologies permettant d’atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique, tout en restant conformes au reste des textes légaux. La définition de conditions cadres favorables, également connue sous la dénomination anglais de « market design », recèle ainsi également son lot de complexité. En effet, une attention particulière doit être portée aux effets collatéraux afin d’éviter des conséquences indésirables. La rétribution unique en est un bon exemple. Ce mécanisme actuellement utilisé pour encourager le photovoltaïque favorise la consommation propre. Il a ainsi pour effet de potentiellement conduire à un déséquilibre de la répartition de la couverture des coûts du réseau électrique en cas de déploiement massif du photovoltaïque. Bien que ces conséquences néfastes restent aujourd’hui encore marginales, ce mécanisme d’encouragement ou le système de rétribution des coûts de fonctionnement du réseau devront être révisés dans quelques années afin d’éviter une trop grande détérioration de la situation.

Pour conclure

La définition et la mise en place d’un système énergétique performant, économique, écologique et fortement couplé est un défi colossal qui, comme décrit aux paragraphes précédents, nécessite une expertise dans de multiples domaines de compétences. Toutes les questions que pose la transition énergétique n’ont pas encore de réponse et un travail conséquent reste à accomplir.

Mais cette refonte complète de notre paysage énergétique est également l’occasion unique de concevoir et réaliser un système cohérent, économique et durable, à même de répondre à nos besoins actuels et futurs. En conclusion, un défi aussi passionnant que nécessaire !


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