4 novembre 2020 8 min
Christian Rod

Expert
Externe

Le power-to-gas est souvent évoqué comme l’un des éléments de réponse aux défis de la transition énergétique. Pas encore déployée à large échelle, cette technologie reste encore méconnue du grand public. Cet article en trace les principaux contours au travers d’une revue de son fonctionnement, de ses avantages techniques et économiques ainsi que des obstacles s’opposant encore à son intégration dans le système énergétique Suisse.

Principe de fonctionnement

Comme son nom l’indique, le principe sous-tendant le power-to-gas est la conversion de l’électricité en gaz. Si ce gaz peut prendre plusieurs formes, elles partagent toutes un composant commun : l’hydrogène. Dans le contexte du power-to-gas, ce gaz très dense en énergie est produit par électrolyse de l’eau. Ce procédé chimique consiste à séparer les molécules d’eau, composées de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène, grâce à la circulation d’un courant électrique. Cette réaction permet ainsi de convertir l’énergie électrique en énergie chimique, contenue dans l’hydrogène produit.

Il existe deux grandes familles regroupant les appareils permettant de réaliser cette conversion. On distingue ainsi les électrolyseurs alcalins des électrolyseurs à membranes échangeuses de proton (PEM de l’anglais Proton Exchange Membrane). Ces deux types de technologies présentent des avantages et des inconvénients propres les rendant adaptées à des situations différentes. Ainsi, la technologie alcaline se distingue par une plus grande maturité technologique et des coûts inférieurs en comparaison de la technologie PEM, cette dernière s’appuyant notamment sur des métaux précieux tels que le platine. La comparaison des performances énergétiques est également légèrement en faveur des systèmes alcalins. Pour produire un kilogramme d’hydrogène, ceux-ci nécessitent des quantités d’électricité comprises entre 51 et 62 kWh1. Cette fourchette se situe entre 53 et 67 kWh pour les systèmes PEM1. Mais cette dernière technologie, au développement plus récent, pourrait présenter un avantage de taille dans le contexte des énergies renouvelables : la flexibilité. En d’autres termes, il est théoriquement possible d’adapter la consommation électrique de ces électrolyseurs aux variations de production, parfois rapides, caractérisant les sources d’énergies renouvelables telles que le photovoltaïque et l’éolien. En résumé, les électrolyseurs alcalins sont préférés lorsqu’une alimentation électrique stable et constante est disponible, alors que les électrolyseurs PEM sont plus traditionnellement utilisés pour la conversion d’électricité renouvelable.

Comme mentionné précédemment, l’électrolyse est un processus de conversion d’énergie. Il est donc particulièrement important de s’attarder sur son rendement. Cette valeur est définie comme le rapport entre l’énergie utile sortant du processus (l’énergie chimique contenue dans l’hydrogène produit) et l’énergie entrant dans ce même processus. Un kilogramme d’hydrogène contient 33.3 kWh d’énergie chimique2. Le rendement de l’électrolyse se situe donc aux alentours de 60%, une valeur relativement basse dans le contexte de l’énergie.

En fonction des applications, il peut cependant être nécessaire de convertir encore une fois l’hydrogène produit par l’électrolyse. Il est ainsi possible de le combiner avec du gaz carbonique afin d’obtenir du méthane, le principal composant du gaz naturel. Couplé à l’électrolyse, ce processus appelé méthanation permet ainsi de créer du gaz naturel à partir d’électricité pouvant provenir de sources renouvelables comme le vent et le soleil. Néanmoins, pour que cette méthanation ait un sens écologique, il est impératif que le carbone utilisé soit issu de sources renouvelables. La capture de CO2, une technologie encore émergente, pourrait constituer une solution. De plus, ce processus de méthanation présente lui aussi un rendement énergétique imparfait, de l’ordre de 80%3. Ainsi, le rendement total de la conversion d’électricité en méthane de synthèse, parfois appelé e-méthane, est inférieur à 50%, ce qui signifie que plus de la moitié de l’électricité produite est perdue.

Les principales applications

Malgré ces performances énergétiques limitées, les utilisations potentielles du power-to-gas sont nombreuses. La plus couramment évoquée est le stockage saisonnier d’énergie. En effet, contrairement à l’électricité, le gaz naturel peut être stocké aisément et sans contrainte sur la durée. Cette propriété est particulièrement intéressante dans le contexte d’une transition vers une production d’électricité majoritairement renouvelable. En Suisse, les principales sources renouvelables sont le soleil, l’eau et le vent. Si cette dernière se caractérise par une production majoritairement hivernale, il n’en va pas de même pour les deux premières qui produisent principalement en été lorsque le soleil brille et que les lacs de barrage sont pleins suite à la fonte des neiges. Or, la courbe de consommation finale en Suisse présente une tendance inverse, avec une plus forte demande en hiver, notamment liée au chauffage des bâtiments. Cette tendance risque de s’accentuer encore avec le remplacement progressif des chaudières thermiques (gaz, mazout) par des pompes à chaleur nécessitant de l’électricité. Ainsi, si les ressources renouvelables disponibles en Suisse sont à même de fournir suffisamment d’électricité en moyenne sur l’année, cette énergie ne serait pas forcément disponible au bon moment. En convertissant en gaz l’excédent de production estivale grâce à la technologie du power-to-gas, il deviendrait alors possible de stocker cette énergie jusqu’à l’hiver suivant, au moment où la demande est la plus forte. À ce moment-là, le gaz serait reconverti en électricité à l’aide de turbines à gaz conventionnelles dans le cas du méthane de synthèse, ou de piles-à-combustibles dans le cas de l’ hydrogène.

Un autre intérêt du power-to-gas est sa capacité à contribuer à ce qui est appelé la convergence des réseaux d’énergie. Historiquement, les réseaux de gaz et d’électricité ont toujours présenté une claire séparation. La conversion d’électricité en gaz de synthèse permet de combler ce manque et de tirer parti de la flexibilité supplémentaire offerte par cette convergence. L’exemple d’une centrale photovoltaïque couplée à une unité de power-to-gas illustre les avantages de cette flexibilité. Le réseau électrique étant régi par la nécessité de respecter strictement l’équilibre instantané entre production et consommation, une surproduction d’électricité entraîne immanquablement une baisse de la valeur de cette énergie. Cette valeur peut même devenir négative en cas de surproduction massive. Dans un tel cas, il pourrait s’avérer préférable de limiter la production photovoltaïque plutôt que de l’injecter dans le réseau, réduisant ainsi la rentabilité de l’installation. La possibilité de convertir cet excédent en gaz offre une seconde manière de valoriser la production photovoltaïque. De plus, étant donné que le réseau de gaz présente une plus grande résilience aux déséquilibres entre la production et la consommation, le prix de rachat de ce gaz de synthèse est moins variable dans le temps ; il constitue ainsi une source de revenus supplémentaires potentiels plus stables permettant de pérenniser sur le long terme la production photovoltaïque. En effet, le gaz naturel de synthèse peut être aisément injecté dans le réseau traditionnel car sa composition chimique est quasiment similaire. Le développement de ce mode de production de gaz naturel permettrait par ailleurs de contribuer significativement à la transition énergétique en « décarbonant » ce vecteur énergétique, qui représentait encore plus de 11% de la consommation finale Suisse en 20194, tout en bénéficiant des infrastructures existantes.

Les obstacles à surmonter

Si les avantages du power-to-gas semblent décisifs, des obstacles de taille s’élèvent encore devant cette technologie. Premièrement, même si les principes qui la sous-tendent sont relativement anciens, cette technologie n’a pas encore atteint sa pleine maturité. De nombreux projets pilotes à travers le monde ont permis de démontrer sa faisabilité mais la majorité des acteurs du domaine de l’énergie manquent encore de certitudes et de repères sur son déploiement ainsi que son opération. En Suisse, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) a financé un projet phare spécialement dans le but d’acquérir ce savoir-faire encore manquant et de récolter des données issues du terrain. La centrale hybride d’Aarmatt implémente ainsi une chaîne de conversion d’électricité en méthane de synthèse. Ce gaz est soit injecté dans le réseau de distribution, soit à nouveau converti en électricité par l’intermédiaire d’une unité de couplage chaleur-force. Ce projet avant-gardiste réalise donc également la convergence des réseaux évoquée plus haut.

Le second obstacle est quant à lui d’ordre économique. Comme mentionné plus haut, plus de la moitié de l’énergie électrique est perdue lors de sa conversion en gaz. Et des pertes conséquentes supplémentaires sont observées lors de retransformation de ce gaz en électricité, si bien que le rendement de la chaîne complète n’est seulement que de l’ordre de 25%. Cela signifie que pour 4 kWh entrant dans la chaîne de stockage, un seul en ressort. Ainsi, pour que l’opération de stockage soit rentable, l’énergie stockée puis revendue doit l’être à un prix 4 fois plus élevé que celle ayant été convertie en gaz, et cela sans compter la marge nécessaire à l’amortissement des installations et à leur opération. Le power-to-gas ne peut donc avoir d’intérêt économique que s’il existe une différence massive de prix entre l’énergie estivale et l’énergie hivernale. De plus, le power-to-gas reste actuellement une technologie chère en termes d’investissement. Pour qu’elle puisse être rentable, elle doit produire autant de gaz que possible. Elle doit donc non seulement avoir accès à une énergie bon marché, mais également aussi constante que possible. Or, le déploiement actuel des énergies renouvelables ne permet pas encore de réunir ces deux conditions.

Pour conclure

Avec la sortie programmée du nucléaire, la possibilité de stockage saisonnier qu’offre le power-to-gas semble indispensable pour que cette transition puisse se faire sans recourir à une production fossile, qu’elle soit indigène ou importée de l’étranger. En effet, et comme mentionné précédemment, le déséquilibre entre la production estivale et la consommation hivernale est amené à se renforcer avec l’électrification du chauffage et la progression des énergies renouvelables portée majoritairement par le photovoltaïque.

Néanmoins, les conditions cadres pour un déploiement de cette technologie ne sont pas encore réunies. D’autres projets pilotes permettant aux acteurs de la branche de l’énergie d’acquérir des certitudes quant à ses performances et son fonctionnement semblent nécessaires. Ils permettront également à la technologie de gagner en maturité et de réduire ses coûts spécifiques. Cette baisse devra également s’accompagner d’une modification du marché de l’énergie, permettant aux unités de stockage saisonnier de bénéficier d’une énergie renouvelable suffisamment bon marché pour que son stockage et sa revente soient rentables.

1 L. Bodineau et P. Sacher, Rendement de la chaîne hydrogène – cas du « power-to-H2-to-power », janvier 2020, ADEME
2 Valeur du pouvoir calorifique inférieur. Le pouvoir calorifique supérieur est de 39.4 kWh/kg
3 G.Benjaminsson, Power-to-gaz - a technical review, SGC, 2013
4 Statistique globale Suisse de l’énergie 2019, OFEN


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