Apprenez-en plus sur le sujet.
8 septembre 2022 5 min
Christian Rod

Expert
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Le photovoltaïque ou l’éolien sont les sources d’énergie renouvelables les plus souvent évoquées comme devant permettre de compenser la sortie programmée de nucléaire et l’augmentation de la consommation liée à l’électrification des usages. Si ces technologies, accompagnées des mesures d’efficacité énergétique, possèdent sans conteste le plus grand potentiel, d’autres sont également capables d’apporter leur pierre à l’édifice. Parmi celles-ci figurent la pyrolyse, une technique aux multiples facettes.

Qu’est-ce que la pyrolyse ?

La pyrolyse est un processus chimique consistant à séparer les composants de la matière grâce à l’apport d’une quantité importante de chaleur. Mais contrairement à la combustion, cet échauffement est réalisé en l’absence d’oxygène, empêchant la réaction d’oxydation et la formation de flammes. Les composants séparés sous l’effet de la chaleur, qui brûleraient dans un processus de combustion, peuvent ainsi être récupérés et servir à d’autres usages par la suite.

Si de nos jours, les processus sont de plus en plus complexes, la pyrolyse est une technique vieille de plusieurs siècles. C’est en effet par pyrolyse que le charbon de bois est produit dans des charbonnières. Du bois y est empilé avant d’être recouvert de terre. Le bois est ensuite enflammé afin de produire la chaleur nécessaire à la séparation des composants. Néanmoins, la couverture de terre permet de limiter l’apport d’oxygène et d’éviter la combustion complète. Le bois est ainsi progressivement transformé non seulement en charbon mais également en gaz. Dans le cas des charbonnières d’antan, celui-ci était évacué. Mais les gaz formés par la pyrolyse contiennent une quantité importante d’énergie. Leur récupération ouvre ainsi la porte à de nombreuses opportunités dans ce secteur.

Ses applications dans le domaine de l’énergie

La pyrolyse de bois

En Suisse, le potentiel énergétique de la biomasse (qui comporte le bois à travers l’accroissement annuel de la forêt, ainsi que les résidus de l’agriculture) n’est pas négligeable. Selon des chiffres de l’OFEN repris par l’institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), son potentiel théorique s’élève à 209 PJ, soit environ 58 TWh par an. Il est cependant important de distinguer le potentiel théorique, qui ne tient pas compte des moyens à utiliser pour exploiter une ressource, du potentiel utilisable. Dans le contexte du bois de forêt, la différence importante entre ces deux potentiels (29.7 TWh contre 7.2 TWh annuels) s’explique notamment par des coûts d’exploitation trop élevés en raison de la difficulté d’accès aux zones forestières situées sur de fortes pentes et/ou éloignées des voies de communication. Ce potentiel est à mettre en perspectives avec les quelques 2.7 TWh photovoltaïques produits en 2021.

En Suisse, la valorisation du bois dans le secteur de l’énergie est essentiellement liée au chauffage des bâtiments. Que ce soit sous forme de pellets dans les bâtiments ou sous forme de plaquettes dans des réseaux de chauffage à distance, le bois est essentiellement utilisé comme combustible pour la production de chaleur et dans des centrales de cogénération de l’électricité.

Néanmoins, les techniques de pyrolyse permettent de faciliter la cogénération pour des petite installations. Ainsi, la gazéification du bois s’appuie sur le même principe que les charbonnières d’antan. Néanmoins, les gaz libérés par l’augmentation de température du bois, présentant un pouvoir calorifique intéressant, sont récupérés et constituent le produit principal. Certaines solutions technologiques produisent du charbon de bois comme sous-produit, tandis que d’autres transforment totalement le bois. C’est cette solution technologique que Romande Energie a choisi, notamment dans ses centrales de Puidoux et Charmey.

Comme explique dans l’image ci-dessus, la plaquette forestière est transformé en gaz de synthèse dans le gazéificateur. Ce combustible alimente ensuite un moteur thermique qui produit de l’électricité. La chaleur résultante de ce processus est valorisée dans le réseau le chauffage à distance. En cas de forte demande d’énergie thermique, une partie supplémentaire du gaz de synthèse peut être peut être brûlée dans une chaudière afin de produire exclusivement de la chaleur. Ce sont donc plus de 8 millions de kWh électriques et 20 millions de kWh thermiques qui peuvent être générés chaque année sur les sites de Puidoux et Charmey.

Chauffage à distance de Puidoux. © Romande Energie

Mais les applications de la pyrolyse du bois ne se limitent pas à la production d’électricité et de chaleur. Des procédés de thermolyse permettent en effet de récupérer l’hydrogène contenue dans le bois. C’est sur ce principe que repose le projet H2bois, situé sur la commune de Glovelier dans le Canton du Jura. Comme la centrale d’Enerbois, ce projet ambitionne de valoriser des sous-produits de l’exploitation du bois et de l’industrie forestière présentes à proximité. En ayant pour objectif principal la production d’hydrogène, ce projet ne vise pas la production directe d’énergie mais plutôt celle d’un vecteur énergétique souvent évoqué comme ayant un rôle important à jouer dans la transition énergétique. En effet, comme évoqué dans un précédent article, l’hydrogène peut servir de carburant pour la mobilité lourde, permettant d’importantes réductions d’émissions de gaz à effet de serre à la condition qu’il soit produit à partir de ressources renouvelables. Dans le cas du projet de Glovelier, des débouchés industriels sont également évoqués. Ceux-ci ouvrent la porte à des réductions supplémentaires de gaz à effets de serre, ces besoins industriels étant actuellement couverts par de l’hydrogène gris produit par vaporeformage d’hydrocarbure.

Dans un premier temps, ce sont quelques 225 tonnes d’hydrogène vert qui seront produites par année à partir de 7000 tonnes de bois. Le processus utilisé produira également 1250 tonnes de charbon de bois (biochar) et 2600 tonnes de CO2. Cependant, ces émissions de dioxyde de carbone ont un bilan neutre et ne contribuent pas à l’augmentation de l’effet de serre, le carbone considéré ici ayant été extrait du CO2 de l’atmosphère lors de la croissance du bois. Dans le contexte des émissions de gaz à effet de serre, le projet H2bois ne vise pas simplement la neutralité mais bien un bilan carbone négatif. En effet, une partie importante du carbone contenu dans le bois n’est pas rejeté dans l’atmosphère mais fixé dans le biochar. Cette forme de carbone étant stable dans le temps, et donc susceptible de se maintenir sous forme solide, ce carbone est extrait durablement de l’atmosphère. Selon les prévisions basées sur des analyses de cycles de vie, ce ne seront pas mois de 12 kg de CO2 qui seront extraits de l’atmosphère pour chaque kilogramme d’hydrogène produit.

La pyrolyse de déchets plastiques

Si, comme mentionné plus haut, la pyrolyse du bois est connue depuis de nombreuses années, ce processus peut également être appliqué à d’autres matières. Parmi celles-ci figurent les déchets plastiques. Ces déchets possèdent en effet un potentiel énergétique méconnu. S’il est bien évidemment préférable de limiter, réutiliser ou recycler ces déchets, une grande quantité de déchets plastiques sont générés en Suisse. Par ailleurs, si le recyclage du PET est bien connu en Suisse, avec ses points de collecte bleu et jaune, il n’existe pas de filières similaires pour d’autres plastiques comme le PE. Or, ce type de plastique se caractérise par un pouvoir calorifique inférieur (PCI) de près de 12 kWh/kg, soit entre 3 et 5 fois plus que le bois (à noter que le pouvoir calorifique du bois varie fortement avec son taux d’humidité).

En Suisse, ces déchets plastiques terminent le plus souvent dans les ordures ménagères. Celles-ci sont incinérées dans des usines comme Tridel à Lausanne ou Satom à Monthey. Ces usines utilisent la chaleur dégagée pour produire de l’électricité ou alimenter des réseaux de chauffages à distance et valorisent ainsi pleinement le potentiel énergétique des déchets plastiques. C’est ainsi qu’en Suisse, chaque année, près de 650’000 tonnes de plastiques sont valorisées sous forme d’énergie. Tridel permet ainsi de générer suffisamment de chaleur pour chauffer 1000 bâtiments et assez d’électricité pour alimenter plus de 20’000 habitants, ceci grâce à l’incinération de centaines de tonnes de déchet par jour.

Si de telles échelles sont parfaitement adaptées aux régions densément peuplées comme la Suisse romande, elles ne sont pas applicables partout en raison de trop faibles volumes. Et c’est là que la pyrolyse des déchets pourrait avoir un rôle important à jouer. Sur certaines îles touristiques notamment, les déchets plastiques ont tendance à s’accumuler ou même à finir dans l’océan. En parallèle, la production d’énergie y est majoritairement assurée par des énergies fossiles. La société française Biogreen propose un système de valorisation des déchets par pyrolyse qui permet d’apporter une solution conjointe à ces deux problèmes. Avec des capacités de traitement typiques de quelques centaines de kg par heures, soit plusieurs tonnes par jour, les chaînes de pyrolyse proposées par Biogreen se caractérisent par des échelles d’utilisation bien mieux adaptées aux îles.

Ce potentiel de la pyrolyse à mettre en place une économie circulaire, dans laquelle les déchets des uns deviennent la source d’énergie des autres, n’a pas échappé à la fondation Race4Water, dont le but est de lutter contre la pollution plastique des océans.

Conclusion

En Suisse, la contribution de pyrolyse restera toujours minime en comparaison de celui des piliers de la transition énergétique que sont le photovoltaïque, l’éolien ou l’hydraulique. Il n’en reste pas moins que cette technologie permet de valoriser des potentiels encore inexploités. Permettant la réalisation de projets locaux et de taille humaine, la pyrolyse peut contribuer à la décentralisation de la production d’énergie et à une plus grande résilience du système. Ses nombreuses applications sont autant de cordes supplémentaires à l’arc de la transition énergétique qu’il serait dommage de ne pas utiliser.


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