L’intelligence artificielle prend une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne.
23 novembre 2021 9 min
Christian Rod

Spécialiste énergie
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L’intelligence artificielle prend une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne. Que ce soit la reconnaissance faciale nous permettant de déverrouiller nos téléphones portables, les différentes aides à la conduite qui rendent les véhicules de plus en plus autonomes ou encore les algorithmes qui orientent le contenu des réseaux sociaux, les exemples sont nombreux. Le monde de l’énergie n’échappe pas à cette évolution et cet article a pour but d’éclairer cet aspect de la transition énergétique à travers quelques exemples.

Qu’est-ce que l’intelligence artificielle

Définir précisément l’intelligence artificielle (IA) s’avère complexe tant ce terme, finalement très générique, regroupe des méthodes et des applications diverses. Une définition couramment admise est que l’IA englobe toutes les méthodes qui ont pour but de reproduire des caractéristiques de l’intelligence humaine, telles que l’apprentissage. Pour cela, ces techniques utilisent des grandes quantités de données. Dans le cas des réseaux de neurones par exemple, ces données sont utilisées pour ajuster des paramètres, dont le nombre peut également s’avérer très élevé, afin de définir petit à petit des « règles » de traitement de l’information, sans pour autant que celles-ci soient explicitement codées. Même si l’ajustement de ces paramètres repose sur des relations mathématiques dont le résultat est déterminable, le nombre de ces paramètres et leur absence de sens physique rendent le suivi du déroulement et la prévision du résultat de ces méthodes impossible pour un humain, à l’exception des cas les plus simples.

Par opposition, les techniques plus « classiques » de traitement de l’information sont basées sur des algorithmes. Ces derniers ne sont rien d’autre que des suites d’instructions simples dont l’exécution est régie par des règles utilisant des éléments du langage courant : « si », « tant que », etc. Même si ces algorithmes peuvent être d’une très grande complexité, leur déroulement reste humainement compréhensible et les résultats qui en découlent peuvent être prévus à l’avance. Même si les techniques reposant sur cette méthodologie permettent de traiter très rapidement des tâches répétitives et reste la base d’une grande partie des applications informatiques, elles ne permettent pas pour autant de reproduire des comportements « intelligents ».

Si le concept d’intelligence artificielle est déjà âgé de quelques décennies, ce sont l’évolution de la vitesse de traitement informatique, le volume et la diversité des données, l’augmentation de leur disponibilité ainsi que les progrès de la recherche dédiée qui ont permis l’explosion de cette discipline scientifique et de ses applications. Des défis que l’on pensait hors de portée des ordinateurs ont ainsi été relevés avec succès les uns après les autres, ouvrant à chaque fois de nouvelles perspectives.

Les grandes familles de l’intelligence artificielle

Comme mentionné précédemment, les méthodes pouvant entrer dans la catégorie de l’intelligence artificielle sont très nombreuses. Elles peuvent néanmoins être classées en trois grandes catégories. Si elles sont toutes basées sur l’utilisation de données et se fondent sur le principe d’apprentissage automatique, elles présentent malgré tout des différences, aussi bien dans leur fonctionnement que dans leurs applications.

L’apprentissage supervisé

La première de ces grandes catégories est appelée apprentissage supervisé. Les différentes méthodes regroupées sous ce terme partagent un but commun : prévoir des valeurs, nommées « sorties », à partir d’autres valeurs, appelées « entrées ». Dans un premier temps, des entrées sont fournies au système conjointement avec les valeurs de sortie correspondantes. Durant cette première phase, désignée par le terme d’entraînement, le système apprend les relations de correspondance liant les sorties aux entrées, sous la supervision de l’utilisateur. Cet apprentissage lui permet ensuite, durant la phase d’utilisation, de prédire les valeurs des sorties, a priori inconnues, liées à des entrées dont l’utilisateur a connaissance.

De manière similaire aux statistiques classiques, la fiabilité de la prédiction dépend fortement de la qualité de l’échantillon utilisé pour la phase d’entraînement. Il est ainsi nécessaire que les jeux d’entrées-sorties utilisés pour l’apprentissage soient suffisamment représentatifs de l’ensemble des données qui devront être analysées durant la phase d’utilisation. Ce critère peut s’avérer difficile à remplir lorsque les données ne sont pas disponibles en nombre suffisant ou lorsque leur dimension, le nombre de valeurs composant une entrée, devient importante.

L’apprentissage non-supervisé

Par opposition, les méthodes d’apprentissage non supervisé ne comportent pas de phases d’entraînement durant lesquelles l’utilisateur humain fournit en quelques sortes les questions et les réponses. Ces méthodes sont ainsi utilisées lorsqu’il n’est pas possible pour l’utilisateur de connaître a priori les sorties du système.

L’apprentissage non supervisé est particulièrement utile lorsqu’il s’agit de détecter des motifs cachés au sein de larges quantités de données ne pouvant être traitées par un humain en raison de leur volume. Ces méthodes permettent ainsi par exemple de catégoriser et de rapprocher des données entre elles sans que ces catégories n’aient été préalablement identifiées, et a fortiori définies, par l’utilisateur. L’apprentissage non supervisé permet ainsi de « réduire » la dimension d’un large jeu de données à quelques exemples représentatifs pouvant être compris par un humain. En ce sens, ces méthodes se rapprochent des calculs de moyennes ou de médianes, utilisés pour ramener à une seule valeur des séries de données beaucoup plus larges.

L’apprentissage par renforcement

La dernière famille de l’intelligence artificielle est constituée des méthodes d’apprentissage par renforcement qui se situent, du moins par certains aspects, entre les apprentissages supervisé et non supervisé.

Dans ce cas, le processus d’apprentissage automatique est constitué de deux parties distinctes : les agents et leur environnement. À chaque itération, les premiers interagissent avec le second par l’intermédiaire d’actions sélectionnées parmi un ensemble prédéfini. Les conséquences des actions réalisées sont ensuite évaluées selon des critères liés à l’objectif à atteindre. Si l’agent se rapproche de son objectif, il recevra une récompense, ou renforcement positif. Dans le cas contraire, si les actions entreprises l’éloignent de son objectif, l’agent recevra une punition, ou renforcement négatif. L’agent apprend donc de ses succès et de ses erreurs et établit petit à petit une correspondance entre sa situation et les actions les plus appropriées.

Ainsi, comme dans le cas de l’apprentissage supervisé, il existe une forme de rétroaction qui permet à l’intelligence artificielle d’apprendre. Néanmoins, comme dans le cas de l’apprentissage non supervisé, aucune intervention humaine n’est nécessaire. De plus, les phases d’entraînement et d’utilisation ne sont pas aussi clairement distinctes que dans le cas de l’apprentissage supervisé. Dans le cas de l’apprentissage par renforcement, l’agent ne cesse jamais d’apprendre. S’il « se trompe » de moins en moins fréquemment, ses succès le renforcent dans sa politique de prise de décisions.

L’intelligence artificielle et la transition énergétique

La maintenance préventive

Les méthodes d’apprentissage supervisé sont typiquement utilisées pour la reconnaissance d’image. La société Picterra, issue de l’EPFL, a ainsi développé une technique d'analyse de prises de vue aérienne ou d’image satellite avec de potentielles applications dans le domaine de l’énergie. En effet, cette plateforme peut être utilisée pour prévenir les pannes des réseaux électriques. En analysant les images aériennes, la solution développée permet de mettre en évidence les risques tels que des arbres menaçant de tomber sur les lignes électriques. Ce savoir permet d’agir avant que la panne ne survienne et de réduire ainsi considérablement ainsi bien les coûts de réparation que les dérangements des utilisateurs.

Mais les applications de l’apprentissage supervisé dans le domaine de l’énergie ne se limitent pas à la seule analyse d’images aériennes. Le CSEM, un centre de recherche basé à Neuchâtel, a développé une méthode permettant de prévoir, et par conséquent d’éviter les pannes pouvant survenir sur des éoliennes. Des données de fonctionnement (température, vitesse de vent, production d’énergie, etc.) sont récoltées sur des éoliennes en service afin d’entraîner un modèle et de créer une réplique virtuelle aussi fidèle que possible. Ces mêmes données sont ensuite récoltées en permanence et transmises au modèle qui fournit des prédictions quant aux performances de la machine réelle. Si les performances réelles, également mesurées en continu, ne correspondent pas aux prédictions du modèle, une alerte est levée. De manière similaire à l’exemple des réseaux électriques cité plus haut, cette connaissance permet d’envoyer des équipes de maintenance inspecter les machines sur lesquelles l’apparition prochaine de pannes est suspectée afin d’agir en amont et d’éviter des casses dont la réparation nécessiterait des périodes d’arrêt prolongées.

La prédiction de production d’énergie

Contrairement à la production d’électricité basée sur les énergies fossiles qui peut être ajustée à tout moment pour répondre à l’évolution de la demande, celle issue de sources renouvelables, comme le vent ou le soleil, est directement dépendante des conditions météorologiques qui peuvent évoluer rapidement. Or, l’équilibre à chaque instant entre la production et la consommation d’électricité est primordial pour la stabilité du réseau.

Ainsi, afin de pouvoir planifier le fonctionnement des centrales de production pilotables, telles que les centrales hydrauliques à accumulation, la connaissance à l’avance des variations de la consommation et des productions solaire et éolienne peut s’avérer particulièrement utile. Et dans ce cas aussi l’intelligence artificielle se révèle d’une grande aide. En effet, grâce à sa capacité à traiter d’énormes quantités de données, il est possible de se baser sur les valeurs historiques de très nombreuses variables pour pouvoir ensuite prédire par corrélation les variations futures de la consommation et de la production.

En se basant sur des approches similaires, la société bernoise météotest a développé des méthodes de prévisions de l’ensoleillement permettant aux entreprises productrices d’électricité photovoltaïque d’anticiper les variations de production. Elles peuvent ainsi ajuster leur bilan en réservant à l’avance des ressources supplémentaires sur le marché de l’électricité. Celui-ci se caractérisant par des prix à courts termes bien plus élevés que ceux à longs termes, ces outils de prévision peuvent permettent d'économiser des sommes considérables.

L’analyse de courbes de charges

La mesure en temps réel et l’enregistrement de la consommation énergétique, qu’elle soit électrique ou thermique, permet l’obtention de jeux de données appelés courbes de charge. Si ce niveau de détails ne présente pas nécessairement un grand intérêt pour les particuliers, il en est autrement pour les industries dont les activités sont gourmandes en énergie et pour qui les coûts associés peuvent s’avérer conséquents. Afin de maîtriser au mieux ces coûts, ces industries peuvent effectuer des audits énergétiques dont l’une des étapes est justement l’analyse de leurs courbes de charge par des ingénieurs spécialisés.

De manière similaire aux autres exemples mentionnés précédemment, l’important volume de données que représentent ces courbes de charge peut rendre difficile une analyse par des méthodes classiques. Il peut être ainsi particulièrement intéressant de faire recours à l’intelligence artificielle pour l’étude de certaines caractéristiques de la consommation, telles que le profil journalier.

En appliquant des méthodes de classification faisant appel à l’apprentissage non supervisé, dont la méthode des k-moyennes est un excellent exemple, il est possible de réduire une courbe de charge annuelles pouvant être constituée de plusieurs dizaines de milliers de valeurs à quelques profils journaliers représentatifs. Les caractéristiques de ces « jours types » pourront ensuite être analysées bien plus facilement afin d’identifier les potentielles mesures pouvant permettre la réduction des coûts énergétiques.

Pour conclure

Même s’ils ne sauraient refléter la réelle diversité des applications de l’intelligence artificielle dans le contexte de l’énergie, les exemples donnés plus haut montrent bien que l’utilisation de cette technologie est déjà une réalité dans la cadre de la transition énergétique en Suisse. Et cette tendance est amenée à se renforcer avec le développement des technologies de l’information et l’arrivée sur le marché du travail de jeunes ingénieurs énergéticiens ayant suivi des cursus intégrant spécifiquement le traitement et l’utilisation des données.

La Suisse romande voit ainsi émerger depuis plusieurs années de nombreuses start-ups (Depsys, Gridsteer, E-nno, etc.) ayant développé des solutions basées sur les données et/ou l’intelligence artificielle et s’inscrivant directement dans le contexte de la transition énergétique. La densité des hautes écoles caractérisant la région favorise les collaborations entre les domaines industriel et académique et laisse ainsi présager de nouvelles applications aussi nombreuses que passionnantes. Il y a ainsi fort à parier que dans quelques années, l’utilisation de l’intelligence artificielle sera devenue la norme, dans le domaine de l’énergie comme dans de nombreux autres.


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