Repensons la fréquence, la durée et les modes de transport.
5 décembre 2022 5 min
Manon Mariller

Géographe
-

Avant les différentes périodes de confinement liées au COVID-19, les déplacements au niveau mondial ne faisaient qu’augmenter. Nous menions en effet des vies dites mobiles, synonymes de trajets nombreux, fréquents et multimodaux. Selon le sociologue Bruno Marzloff, nous vivions même dans l’« excès de mobilité ». Puis, le télétravail forcé nous a amenés à revoir nos habitudes et spécifiquement à diminuer nos déplacements.

L’année 2020 est désormais vue comme celle de la démobilité, comme titre un article du Monde paru en janvier 2021. L’enquête de l’Observatoire des mobilités émergentes dont ce même article relate les grandes lignes fait notamment apparaître une progression des modes de déplacement individuels et une baisse des distances parcourues. Mais qu’est-ce que la démobilité ? Ce billet propose différents éléments de définition ainsi quelques pistes de compréhension concernant les liens existant entre démobilité et consommation d’énergies.

Comment définir la démobilité ?

Selon Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po Paris et membre du Conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique, la démobilité peut être comprise comme « une perspective et une invitation à l’innovation pour diminuer les mobilités subies et augmenter les mobilités choisies. » La notion de démobilité invite donc non seulement à revoir à la baisse nos nombreux déplacements et à privilégier les modes actifs et doux, mais aussi à remettre en question les causes et les impacts des trajets sur nos vies. Les mobilités actives sont définies comme toutes les formes de déplacement qui impliquent une dépense énergétique par le biais d'un effort musculaire.

Bien que le terme de démobilité soit encore en cours de modélisation, il permet en effet de se questionner non plus sur l’offre de mobilité uniquement, mais bien sur la demande. La démobilité s’intéresse spécifiquement à la mobilité dite locale, soit tout ce qui est effectué dans un rayon de 80 kilomètres autour du domicile, et quotidienne. Les déplacements allant de notre domicile à notre travail sont donc ceux que l’on trouve directement sous la loupe de la démobilité. En ce sens, une réduction des temps de transport domicile/travail et donc a fortiori une augmentation du télétravail vont de pair et font partie intégrante de ce concept.

Enfin, la démobilité induit un encouragement des modes de vie moins dépendants de la voiture, ainsi qu’une meilleure répartition des flux de déplacements dans la journée, permettant ainsi d’éviter embouteillages et autres saturations des transports publics notamment.

Liens entre démobilité et consommation d’énergies

Comme le dit très justement Bruno Marzloff, « nous sommes confrontés à une nécessaire rupture de trajectoire : de l’inflation structurelle des trafics carbonés à leur décroissance. » En plus de leurs effets néfastes de nos déplacements sur l’environnement, leurs coûts sont appelés à augmenter à proportion de l’élévation des prix de l’énergie. Quels sont les implications et a fortiori les avantages de la démobilité d’un point de vue énergétique ?

En Suisse, les transports représentent plus de 30% de l’énergie consommée. Cette énergie se présente en grande partie sous forme de combustibles pétroliers et de carburants (50,6%), d’électricité (25,0%), de gaz (13,5%) et de bois (4,4%). On peut donc aisément en déduire que tendre à plus de démobilité permettrait notamment de réduire la consommation de combustibles pétroliers et de carburants.

Cependant, une augmentation du télétravail ne saurait suffire à amorcer pleinement la démobilité. En effet, comme le montre le tableau ci-dessous, les loisirs représentent actuellement le principal motif de déplacement. En 2015, 44% des distances journalières en Suisse étaient effectuées pour les loisirs, 24% pour le travail et 13% pour faire les achats. Si l’on considère uniquement les jours du lundi au vendredi, la répartition est à peu près égale entre les distances pour les loisirs (33%) et celles pour le travail (32%).

La mobilité douce et le télétravail offrent donc des opportunités d’économies d’énergie, notamment en matière de carburant. En effet, comme le précise la plateforme Swiss-Energyscope, ces deux aspects additionnés peuvent permettre rapidement une économie de 1 à 2 TWh par an, soit entre 2 et 4 % de notre consommation pour la mobilité des personnes. Bien entendu, à long terme et si l’on imagine une généralisation des pratiques de démobilité, le potentiel d’économies s’avère encore plus large.

Par contre, en augmentant le télétravail afin de faire des économies d’énergie (comme le Conseil fédéral le prévoit en cas de besoin cet hiver), les charges telles que chauffage et électricité notamment - à la charge de l’employeur habituellement - retomberaient sur la facture du personnel. Les études sur le télétravail manquant encore, surtout concernant les aspects d’économies d’énergie générées par cette forme de démobilité, il reste à l’heure actuelle encore difficile d’articuler des chiffres précis ainsi que de potentiels effets positifs sur la santé des personnes concernées.

Comment concrètement amorcer la démobilité ?

Comme nous l’avons vu, la démobilité nous appelle à non seulement repenser la fréquence, la durée et les modes de transport, mais aussi à adapter notre quotidien pour y replacer plus de proximité. La concrétisation de la démobilité implique donc une démarche politique, urbaine et sociétale globale. Aussi, un urbanisme axé sur ces pratiques plus que sur les transports motorisés (trottoirs élargis, augmentation des pistes cyclables) s’avère nécessaire. Le développement d’une mobilité de proximité passe notamment par l’organisation de la ville dite « du quart d’heure » - les 15 minutes renvoyant à la distance franchie à pied ou à vélo. Ainsi, une augmentation du télétravail, une baisse de l’utilisation de la voiture ainsi que des loisirs plus proches de nos domiciles ne semblent être que certains ingrédients de cette recette encore neuve.

SOURCES UTILISÉES POUR RÉDIGER CET ARTICLE ET AUTRES LIENS UTILES

Distance et durée journalières des déplacements
Du plus grand consommateur d’énergie au porteur d’espoir
Energie - faits et chiffres
Etude exploratoire « neutralité carbone » à Genève en 2050
L’Observatoire des mobilités émergentes – Hors-série 2021
La démobilité : travailler, vivre autrement
La démobilité doit mettre fin à l'aberration des excès de mobilité
La mobilité douce et le télétravail peuvent-ils contribuer à réduire la demande énergétique ?
Le confinement fait la preuve qu’une démobilité est souhaitable et qu’une déconsommation est possible
Les mobilités dans une ère (post) COVID–19
Réimposer le télétravail pour économiser l'énergie serait "facile" à mettre en place
Réinventer les territoires avec la démobilité
Statistique globale de l’énergie
Transports : 2020, année de la démobilité


LAISSEZ UN COMMENTAIRE

* Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Share on Linkedin Share on Twitter