Partons à la découverte de ce nouveau modèle urbain.
1 novembre 2021 5 min
Nelia Franchina

Spécialiste durabilité
Romande Energie

Face à la ville high-tech toujours plus connectée et énergivore, certaines villes préfèrent prendre le virage du low-tech. Car si la technologie peut aider à la transition écologique, reste à l’utiliser à bon escient et avec parcimonie. Partons à la découverte de ce nouveau modèle urbain.

La ville high-tech, où l’approche technocentrée

L’approche technocentrée, matérialisée par les high-tech, suppose que les innovations technologiques apportent toutes les solutions aux problèmes actuels, notamment les changements climatiques. Son but est d’optimiser les flux d’énergies et de ressources grâce à la révolution numérique et aux technologies vertes.

Le problème principal de cette approche est qu’elle demande, paradoxalement, beaucoup de ressources et d’énergies. Les nouvelles technologies du numérique, toujours plus connectées, consomment une quantité astronomique d’énergie. Ainsi, si Internet était un pays, il serait le troisième plus gros consommateur d’énergie au niveau mondial ! De plus, ces innovations sont parfois très compliquées à recycler, ce qui empêche la mise en place d’une économie circulaire bénéfique à notre planète. La croissance verte prônée par les approches technocentrées semble donc poser encore de nombreuses questions quant à sa réalisation concrète.

Dans un précédent article « Smart Cities : nouveaux modèles pour assurer la durabilité du territoire », nous montrions justement l’évolution de ce concept, d’une approche à la base hyper technologique, à une approche centrée sur l’humain. Les smart cities, au départ vitrines de la mouvance high-tech, se tournent en effet de plus en plus vers une démarche low-tech, non plus basée sur l’intelligence artificielle mais sur l’intelligence collective.

Les low-tech, retour dans le passé ou modernité ?

Les approches low-tech, en opposition aux high-tech, partent du principe que les nouvelles technologies ne vont pas résoudre tous nos problèmes et vont même en créer de nouveaux. Le but est de tendre vers une économie de ressources réelle, la réduction de l’impact environnemental et la résilience, en se basant sur le besoin et l’usage. La démarche low-tech n’est toutefois en rien un retour en arrière. Il s’agit plutôt de créer une nouvelle modernité en conservant un niveau de vie agréable. Les low-tech sont caractérisées par leur capacité à durer, à être réutilisées, recyclées et réparées tout en ayant l’impact environnemental et social le plus faible possible.

Philippe Bihouix, référence dans le domaine des low-tech, aborde le principe en trois questions : Pourquoi ? Quoi ? Comment?

Pour les villes, ces questionnements se représentent comme ceci :

  • Pourquoi est-ce que je construis quelque part ? Pourquoi est-ce que je construis la ville ?
  • Qu’est-ce que je construis ? Avec quels matériaux ?
  • Comment est-ce que je construis la ville ? Comment est-ce que je prends en compte les usages, les habitants ? À quelle échelle ?

« Construire moins au lieu de construire mieux » est une bonne représentation de l’utilisation des low-tech au niveau de la ville. Il s’agit d’optimiser les usages, de partager, de réhabiliter et de redimensionner les espaces en construisant une ville réversible et bien dimensionnée. On utilise les ressources (rares et précieuses) seulement là où cela est vraiment nécessaire dans l’idée d’une économie circulaire, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui dans le fonctionnement des villes. Contrairement à la ville high-tech, le numérique n’est plus l’objectif, mais un outil comme un autre afin de réduire l’impact des villes, la technologie n’est donc pas complètement bannie, elle est juste utilisée avec parcimonie. Cette frugalité numérique amène de facto à une frugalité énergétique et matérielle.

Des low tech aux low cities

La technologie est par exemple utilisée pour permettre le partage de connaissances au sein de la population à travers une ville « open source » qui mobilise ses habitants et crée des initiatives citoyennes. L’outil principal de ce que l’on peut donc nommer les « low cities » est donc l’usager de la ville. On cherche à atteindre une « ville à faible intensité matérielle et à haute intensité relationnelle » en plaçant l’humain au centre, notamment à travers la participation citoyenne et la prise en compte des usages et des comportements. La ville est aménagée PAR et POUR ses habitants.

Les modes de vie changent et la ville doit pouvoir les intégrer tout en s’adaptant également aux changements climatiques. Il existe en effet le risque que la ville, comme elle est conçue actuellement, devienne obsolète. Il faut donc développer une ville modulable et multifonctionnelle tant au niveau des bâtiments que de l’espace public.

Ville high tech ou low tech, quelles différences ?

S’adapter à ces nouvelles contraintes est l’objectif tant de la ville high-tech que de la ville low-tech. Mais les résultats (écologiques, sociaux, etc.) et les méthodes diffèrent grandement.

Un exemple concret de la différence entre les villes high-tech et les villes low-tech est la gestion des déchets : dans la ville high-tech, on équipe chaque poubelle d’un détecteur connecté qui alerte les éboueurs dès qu’elle déborde. Dans la ville low-tech, on va favoriser le vrac et le recours aux consignes, supprimant ainsi la problématique des déchets à la source. Pour la mobilité, l’approche high tech propose de monitorer tous les flux automobiles pour éviter les bouchons, tandis que la ville low-tech favorisera les mobilités douces et réduira la place dévolue aux voitures. Ces deux exemples peuvent sembler compliqués à réaliser, mais il existe plein d’autres initiatives low-tech déjà implémentées dans les villes : le vélobus de ramassage scolaire, venu des Pays-Bas, et maintenant implanté dans quelques villes françaises, est un moyen de transport écologique et bon pour la santé. Il s’agit d’un « vélocipède » qui peut transporter une dizaine de personnes – en général un conducteur et des écoliers – mais attention, tout le monde doit pédaler pour qu’il avance ! Peu coûteux (en comparaison d’un bus scolaire), sans technologie compliquée, facile d’entretien et réparable, voilà un exemple parfait de low tech, orienté sur le besoin et l’usage. Et en Belgique, ce sont des calèches tirées par des chevaux qui transportent les petits écoliers.

Ce changement de paradigme paraît peut-être un peu extrême et peu réalisable, cependant il représente une solution concrète pour réduire l’impact environnemental, énergétique et matériel des villes. La population des villes ne cesse d’augmenter, l’approche high-tech propose donc de construire mieux pour consommer mieux. L’approche low-tech propose elle de construire moins… pour consommer moins.

Au niveau de la mobilité les différences sont également significatives : tandis que la ville high-tech investit dans des caméras et capteurs connectés pour gérer au mieux le flux automobile, la ville low-tech développe des espaces publics entièrement dédiés à la mobilité douce et aux transports publics. Les deux approches permettent un désengorgement du centre-ville et des gains en temps et en sécurité pour les usagers, cependant, le bilan carbone et matériel n’est pas du tout le même.

Les Slow cities ou les villes lentes

Entrecroisées avec les villes low-tech se trouvent les Slow cities ou Cittaslow du nom de l’association qui a créé le mouvement en 1999 dans une petite ville Toscane. Dans la lignée du slowfood, qui prône un retour à une alimentation plus locale, saine, artisanale et en phase avec l’agriculture traditionnelle, Cittaslow lance une réflexion sur le bien vivre en ville à travers la lenteur, la durabilité, la justice sociale, l’économie circulaire, la résilience et la culture.

Pour être certifiée Cittaslow, une ville doit être évaluée sur plusieurs dizaines de critères séparés en sept domaines qui caractérisent le bien vivre en ville :

  • Politiques énergétiques et environnementales (énergies renouvelables)
  • Politiques d’infrastructures (préservation du patrimoine)
  • Politique pour la qualité de vie urbaine (mobilité douce et espaces verts)
  • Politique agricole, touristique et artisanale (commercialisation de produits locaux)
  • Politique d’accueil, de sensibilisation et de formation (création d’événements locaux)
  • Cohésion sociale (accessibilité pour les personnes à mobilité réduite)
  • Partenariat (avec les acteurs locaux)

Aujourd’hui, l’association a certifié 278 villes dans 30 pays, mais aucune en Suisse. La lenteur, tout comme la sobriété prônée par les low-tech, sont des termes quelque peu péjoratifs et mal perçus , c’est pourquoi le réseau français Cittaslow préfère employer le terme : « le temps de … ». Le temps de réfléchir, de faire, d’échanger, de ne rien faire aussi, le temps de vivre, de bien vivre surtout, c’est là tout le but du label.

Alors, à quand des (s)low cities partout dans le monde pour nous donner le temps de vivre la ville comme il se le doit ?


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