Apprenez-en plus sur ce sujet !
8 février 2021 5 min
Hélène Monod

Rédactrice
-

Toute entreprise, qu’elle produise des biens ou fournisse des services, utilise des ressources non renouvelables pour son fonctionnement et génère des déchets. Pour y parer, une solution consiste à développer des synergies et des échanges entre les acteurs économiques d’un même territoire, comme s’il s’agissait d’un écosystème naturel, pour réaliser des économies de ressources non négligeables. Voyons plutôt.

L’écologie industrielle s’inspire de la nature

Le concept d’écologie industrielle s’inspire de la nature pour imaginer des relations plus collaboratives entre les différents acteurs économiques d’un territoire. « Réseau de dépendances et d'échanges d'énergie, d'information et de matière, permettant le maintien et le développement de la vie de l’ensemble des êtres vivants et de leur habitat », autant de mots définissant un écosystème qui ont inspiré les initiateurs de l’écologie industrielle.

Prenons une forêt de feuillus par exemple. L’été, les feuilles permettent aux arbres de faire des réserves d’énergie grâce à la photosynthèse. Mais à l’automne, elles se transforment en « déchets », tombent… et deviennent une ressource pour le sol qui les entoure.

Le système économique peut être considéré comme une forme particulière d’écosystème. Selon Suren Erkman (Vers une écologie industrielle, 2006), l’écologie industrielle vise à restructurer le système industriel sur quatre axes fondamentaux : boucler les flux de ressources (économie quasi-cyclique) ; minimiser les pertes par dissipation ; dématérialiser les activités économiques ; décarboner le système énergétique. Comme l’a montré notre exemple, les déchets des uns peuvent devenir des ressources pour d’autres.

Mais concrètement, ça veut dire quoi ?

Concrètement, l’écologie industrielle signifie que les acteurs économiques d’un territoire « s’organisent » en écosystème, et réfléchissent ensemble à des manières de partager des flux de matières et d’énergie et mutualiser certains de leurs services et infrastructures.

Partage de flux de matière et d’énergie – Prenons l’exemple de l’industrie du ciment, particulièrement gourmande en énergie fossile et fortement émettrice de CO2. La chaleur résiduelle engendrée par les fortes températures nécessaires à la fabrication du clincker (plus de 1'450 degrés), pourrait être utilisée par des entreprises voisines, comme par exemple une entreprise d’agroalimentaire dont le fonctionnement nécessite de la vapeur. Et le CO2 émis pourrait être capté et réutilisé par une entreprise voisine productrice de polymères. La boucle est bouclée.

Mutualisation de services et infrastructures – Des entreprises voisines peuvent également gérer collectivement leurs déchets ou leur logistique, réaliser des transports et des achats groupés, partager des compétences, des emplois, des espaces communs, comme par exemple leurs parkings sous-utilisés (et préserver ainsi la ressource sol). De nombreuses solutions présentées dans notre article sur l’économie du partage peuvent inspirer les écosystèmes économiques.

Ecologie industrielle

Quels avantages ?

Économiques – l’écologie industrielle consiste avant tout en des relations commerciales. La mutualisation de services ou d’infrastructures permet de réduire les coûts (répartition des coûts d’achat et d’entretien du matériel et des services partagés) et de favoriser les économies d’échelle, tandis que le partage de flux et d’énergie permet aux uns de vendre leurs « déchets », et aux autres de les acquérir à un prix attractif, devenant ainsi de la matière première.

Écologiques – Chaque projet d’écologie industrielle réalisé permet des économies d’énergie et de ressources plus ou moins importantes. La première expérience significative au monde d'écologie industrielle est apparue au Danemark sur le site de Kalunborg. Six organisations différentes se sont regroupées, dont la mairie, une centrale énergétique et des industries. Grâce à la symbiose de Kalundborg, l'essentiel des déchets des uns est utilisé comme matière première par les autres : chaleur et vapeur, eau, gaz issus de la raffinerie, gypse de synthèse, biomasse et engrais liquide, cendres volantes issues de la combustion du charbon dans la centrale, boues d'épuration, etc.

Image – Pratiquer une politique d’écologie industrielle améliore l'image de l’acteur économique concerné auprès du public et des clients. L‘engagement dans une démarche de développement durable, en plus de créer une image positive, contribue à attirer de nouveaux clients et à fidéliser la clientèle.

Retours du terrain : rencontre avec Luc Jaquet, senior consultant chez Sofies et expert en écologie industrielle

Sofies est un groupe international créé à Genève en 2008 par plusieurs associés, dont le Professeur Suren Erkman. Sofies s’est développé autour d’une vision forte : allier développement économique et préservation des ressources naturelles, en se basant sur les concepts d’écologie industrielle et d’économie circulaire.

Chez Sofies, vous accompagnez de nombreux acteurs économiques, parcs industriels et collectivités publiques dans des projets d’écologie industrielle. Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Il y a plusieurs approches pour mener des processus d’écologie industrielle. Par exemple, une approche top-down consiste à analyser les flux de matières et d’énergie pour obtenir une vision des possibles, et ensuite impliquer les acteurs concernés et leur présenter les options. Une approche bottom-up, quant à elle, consiste à regrouper le plus rapidement possible les acteurs économiques d’un territoire donné, et de faire réfléchir à des projets communs les personnes qui ont un pouvoir de décision. Cette manière fonctionne bien, car après avoir réalisé un premier projet à plusieurs, cela les motive à aller de l’avant avec d’autres projets peut-être plus ambitieux. De notre côté, nous analysons la faisabilité des projets imaginés et accompagnons leurs mises en œuvre. Un aspect important est notamment l’accompagnement des parties prenantes dans la contractualisation de leurs échanges et partages, qui peut s’avérer complexe selon le nombre d’acteurs impliqués.

Qui sont les acteurs que vous accompagnez ?

Nous accompagnons principalement des parcs industriels, avec des gestionnaires de parcs qui facilitent grandement notre travail. Mais nous travaillons également avec des grandes entreprises, qui permettent à des plus petites entreprises à proximité de se greffer à des réflexions écosystémiques. Enfin, nous avons des mandats de collectivités publiques qui souhaitent analyser la faisabilité de projets écosystémiques sur leur territoire, ou mesurer le potentiel de valorisation des ressources endogènes.

Quel sont les blocages au développement de l’écologie industrielle ?

Un blocage important est lié aux règlementations. Parfois elles sont justifiées, parfois non. Dans le domaine de la construction par exemple, réutiliser des matériaux « deuxième main » est difficile car les règlements historiquement liés à la sécurité sont devenus obsolètes à cause de l’avancée des technologies. Un autre exemple est celui de la vente de déchets : ces derniers étant classés dans une « catégorie déchets » sur certains territoires, ils ne peuvent pas être vendus comme matière première pour d’autres. Tant que les règlementations qui n’ont plus lieu d’être n’évoluent pas, de nombreux projets sont bloqués.

Quelles sont les valeurs auxquelles les acteurs économiques intéressés doivent adhérer ?

L’écologie industrielle implique un changement de paradigme important. Les entreprises concernées passent d’une vision basée sur la compétition à une approche collaborative. Mais pour que cela fonctionne, un lien de confiance doit se créer entre elles. Dans certains parcs industriels, les gestionnaires de parc organisent des événements de « team building » entre entreprises pour faciliter les collaborations. Les entreprises doivent pratiquer une forme d’innovation organisationnelle.

Ecotube, un projet montheysan d’écologie industrielle innovant et efficient, chiffres à l’appui

Jusqu’à 45’000 tonnes de CO2 évitées chaque année (c’est-à-dire 37’000 vols Genève - New York) et près de 250 GWh de gaz naturel économisés par an. Quelques chiffres parlants pour montrer ce que peut apporter concrètement l’écologie industrielle. Ce projet Ecotube a consisté à construire et exploiter une conduite sous-terraine de vapeur de 2,5 km entre l’usine de valorisation thermique des déchets Satom et le site chimique de Monthey CIMO, permettant de fournir jusqu’à 80 tonnes par heure de vapeur au site chimique. La chaleur produite par la combustion de déchets, qui sinon serait perdue, devient une ressource importante pour CIMO qui réduit ainsi 60% de sa part de chaleur provenant aujourd’hui du gaz.
Ces chiffres parlants sont un argument de poids pour que les entreprises collaborent davantage !


LAISSEZ UN COMMENTAIRE

* Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Share on Linkedin Share on Twitter