Donnons envie de pratiquer une mobilité active
24 janvier 2022 5 min
Hélène Monod

Rédactrice
Romande Energie

En Suisse, la mobilité est le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre. En moyenne, les Suisses parcourent 37 kilomètres par jour, dont les 2/3 se font en voiture. 38% de l’énergie finale consommée en Suisse est imputable au trafic, qui occasionne près d’un tiers des émissions totales de CO2 dans le pays. Pour réduire la mobilité motorisée et promouvoir la mobilité active, de nombreuses actions de sensibilisation et d’incitation sont déployées, et elles sont importantes. Mais le levier essentiel se trouve entre les mains des urbanistes : construire des villes accueillantes pour les piétons et les cyclistes.

Toujours plus de voitures, de piétons ou de cyclistes ? Qui décide ?

L’expérience montre aujourd’hui que plus nous donnons de place aux voitures, plus il y en aura. Et c’est la même chose pour les cyclistes et les piétons ! Ainsi, favoriser un type de mobilité est une question de choix (politiques), et de compétences (urbanistiques). Offrir plus de place aux cyclistes et aux piétons réduit l’utilisation d’énergie et l’émission de CO2 liés aux déplacements, tout en améliorant la santé des citoyens. A contrario, offrir plus d’espace aux voitures engendre une augmentation du trafic motorisé, une plus grande utilisation de l’espace public, une augmentation de la pollution de l’air et des embouteillages, etc. Comme le démontre l’exemple de la plus grande autoroute du monde, la « Katy Freeway », qui sert de contournement à la ville de Huston, le choix politique de l’agrandir jusqu’à 26 voies pour venir à bout des bouchons la rend finalement … encore plus saturée qu’avant son agrandissement. Donner plus d’espace aux voitures pour réduire les embouteillages n’est donc pas la solution.

La mobilité active : une réponse efficiente

Il s’agit ainsi d’inverser la tendance et de redonner la place à une mobilité active, c’est-à-dire une mobilité où l’humain fournit l’effort pour se déplacer. Troquer sa voiture contre des baskets, une trottinette ou un vélo est un choix individuel largement favorisé par un espace public adapté à cette mobilité non motorisée.

Diminution du temps de déplacement

Les statistiques fédérales révèlent que 50% des déplacements motorisés effectués dans notre pays portent sur des distances inférieures à 5 kilomètres. La vitesse moyenne d'une voiture en ville oscille entre 21 km/h et 12km/h aux heures de pointe. Un cycliste roule lui à 15 km/h. En dessous de 5 km, le trajet à vélo en agglomération est ainsi le plus rapide. La mobilité active devient ainsi une réelle alternative.

Réduction de CO2 et économies d’énergie fossile

Nous consommons dans le monde plus de 15 milliards de litres de pétrole chaque jour, dont plus de la moitié est brûlé dans les moteurs des véhicules : voitures, camions, bateaux, trains et avions.

Economies d’espace

L’espace public disponible en milieu urbain est occupé à près de 90% par l’automobile. Pour le même espace, il est possible de faire circuler 4,5 fois plus de personnes en transport en commun (bus) par rapport à l’automobile, 7 fois plus de personnes à vélo.

Meilleure santé

Le manque d’activité physique touche plus de 65% des adultes et plus de 80% des adolescents d’après une étude publiée en 2019 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), impliquant une quantité de pathologies associées à la sédentarité : problèmes cardiovasculaires, hypertension artérielle, perturbations du métabolisme des graisses, diabète, surpoids, cancers, troubles de l’humeur, dépression, etc. Mais il suffit à une personne de pratiquer quelques heures d’activité par semaine pour observer une amélioration tangible de sa santé : pratiquer la marche ou le vélo pour ses déplacements améliore ainsi la santé des marcheurs ou cyclistes.

« Les urbanistes ont à nouveau des humains pour clients »

Comme le dit Jan Gehl, urbaniste et designer danois, l’humain et ses caractéristiques doivent à nouveau être au centre des préoccupations des urbanistes. « Le client de l’urbaniste et de l’architecte : un être humain qui marche en ligne droite, vers l’avant et dans un plan horizontal à 5 km/h ». Et non plus un amas de tôle, qui roule en ligne droite, vers l’avant sur un plan horizontal, pouvant aller jusqu’à 130 km/h. Remettre l’humain au cœur des espaces publics doit donc être la base de la réflexion des urbanistes d’aujourd’hui. Pour cela, il faut lui redonner de la place, et une place de qualité.

Nous sommes tous parfois automobiliste, parfois cycliste, parfois piéton. Réfléchissons donc à ce qui fait que nous pratiquons ou non une mobilité active, aux endroits où nous aimons nous déplacer et à leurs caractéristiques. Est-ce le fait qu’il y ait des espaces généreux dédiés à nos déplacements, qu’ils soient sécurisés et loin de la circulation, qu’ils soient bien connectés, que les paysages urbains qui les composent soient diversifiés, qu’il y ait de l’activité et de l’animation, qu’il y ait des espaces ombragés et végétalisés, que les rez-de-chaussée soient vivants, etc. ?

Dans son ouvrage « Pour des villes à échelle humaine », Jan Gehl donne de nombreux conseils pour y parvenir, basés sur ses années d’expérience partout dans le monde. Ces derniers se centrent toujours sur le même principe : quels sont les caractéristiques et besoins d’un humain en termes de déplacements dans l’espace public ? Pour lui, l’être humain est fait pour marcher. « Une bonne ville est une ville construite autour du corps humain et de ses sens ». Et les espaces développés pour le gain de temps et l’optimisation de la voiture n’offrent guère de distraction ni de sécurité pour le piéton.

Copenhague : un exemple à suivre

Bien que Copenhague soit aujourd’hui un modèle en termes de mobilité active, ça n’a pas toujours été le cas. Pour répondre à des problèmes de trafic motorisé, la ville a commencé dans les années 1960 à éliminer annuellement 2 à 3% des emplacements de parking en ville et à développer parallèlement un réseau de transports en commun efficace et agréable, à améliorer son réseau de pistes cyclables et à connecter tous les quartiers de la ville pour les piétons. Son objectif initial ? Rendre le vélo plus rapide que la voiture pour les déplacements urbains. C’est d’ailleurs la principale raison donnée par les cyclistes de la ville : ça va plus vite ! Copenhague n’a donc pas toujours été exemplaire… mais elle a quelques dizaines d’années d’avance sur les villes qui s’y mettent seulement aujourd’hui. De quoi s’inspirer, donc.

Quelques chiffres parlants

  • 400 kilomètres de pistes cyclables empruntées tous les jours par plus d’1/3 des habitants ;
  • Le nombre de vélos présents sur les routes du centre-ville a dépassé le nombre de voitures en 2016 ;
  • Seuls 40% des Danois possèdent une voiture, alors que 90% possèdent un vélo ;
  • 35% de la population se rend quotidiennement à vélo au travail.

Quelques principes d’aménagements

  • Mis à part sur les zones 30km/h où voitures et cyclistes partagent le même espace, les pistes cyclables sont toujours distinctes ;
  • Le long des artères limitées à 60 km/h, les pistes cyclables, unidirectionnelles, sont séparées de la circulation ;
  • Quand la vitesse autorisée est supérieure à 60km/h, les itinéraires cyclables empruntent un parcours entièrement distinct de celui des voitures. Ces pistes sont larges : deux cyclistes peuvent discuter en roulant, tout en se faisant dépasser par un troisième ;
  • Aux grandes intersections, les feux des voitures et des vélos sont décalés, permettant aux vélos de partir plus tôt ;
  • Sur certains axes, les feux de signalisation sont synchronisés sur la vitesse des deux-roues et un cycliste peut parcourir plusieurs kilomètres en enchaînant tous les feux verts.

Une autoroute à vélo

Afin de promouvoir la pratique du vélo pour les pendulaires des communes proches de Copenhague, 23 municipalités ont collaboré en construisant de nouvelles « autoroutes à vélos » qui totaliseront prochainement 750 km. Ces « autoroutes » sont très larges et éloignées des axes routiers, et traversent souvent des forêts. On peut ainsi rouler pendant des kilomètres sans y croiser une seule voiture. Ces aménagements permettent un réel transfert modal : 1/4 de leurs usagers, qui parcourent pour certains plus de 30 km par jour, utilisaient auparavant la voiture.

Evaluer la marchabilité d’une ville, un concept d’avenir

Une étude menée par l’association actif-trafiC, Mobilité piétonne Suisse et Hochschule für Technik Rapperswil « Marchabilité et santé – comparaison entre 16 villes suisses » montre que l’intérêt pour le piéton grandit. Parmi les éléments issus de cette étude, voici quelques recommandations : proposer des infrastructures séparées pour la mobilité piétonne et cycliste ; offrir davantage d’espace pour la mobilité piétonne ; imposer des temps d’attente moins longs pour traverser ; modérer le trafic automobile et réaliser plus de zones de rencontre ; mieux doter les services de mobilité piétonne.

Donner envie de pratiquer une mobilité active

Se déplacer quotidiennement en marchant, à vélo, en trottinette, etc. est un choix individuel, certes. Mais ce choix est d’autant plus facile si les itinéraires proposés sont sécurisés, agréables et rapides. Et pour cela, les choix de nos dirigeants et des urbanistes sont essentiels. Créer des espaces publics à taille humaine et pensés selon cette échelle est une priorité autant pour notre climat que pour notre santé.


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