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6 mai 2021 8 min
Christian Rod

Spécialiste énergie
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Les véhicules électriques joueront un rôle-clé dans la réalisation des objectifs énergétiques et climatiques de la Suisse. La feuille de route pour la mobilité électrique, lancée en décembre 2018 par Doris Leuthard, vise à mobiliser et structurer les acteurs pouvant contribuer à l’adoption accélérée de la mobilité électrique, et à les engager dans un processus de dialogue et de création partagé.

Pourquoi encourager la mobilité électrique

Au cours des 30 dernières années, la Suisse a réduit ses émissions de gaz à effet de serre, mais cela ne suffira pas pour atteindre l’objectif national fixé pour 2020, à savoir une baisse de 20% par rapport au niveau de 1990. Selon les dernières données disponibles à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), sur cette période, les émissions de la Suisse ont diminué de 14% alors que la population a augmenté de 27%.

Contrairement aux secteurs du bâtiment, de l’agriculture et de l’industrie qui ont tous réduit leurs niveaux d’émission, le trafic routier a vu le sien stagner. Les raisons en sont multiples. Premièrement, en 30 ans, une augmentation de 50% du nombre de véhicules a été observée. De plus, les Suisses privilégient souvent des véhicules toujours plus gros et plus puissants ; les SUV représentent presque la moitié du parc automobile de notre pays. L'augmentation de la part des moteurs diesel, qui émettent moins de CO2 que ceux à essence, les progrès technologiques de l’industrie automobile et l’augmentation du nombre de véhicules électriques ont contribué à stabiliser les émissions totales, malgré ces facteurs défavorables. Toutefois, le non-respect des exigences en matière de CO2 des voitures neuves et l’augmentation du nombre de kilomètres parcourus ont rendu impossible l’atteinte de l’objectif CO2 attribué au trafic, qui était une réduction de 10% par rapport à 1990. Grâce à leurs faibles émissions de CO2, les véhicules électriques joueront ainsi un rôle-clé dans la réalisation des objectifs climatiques, mais aussi énergétiques de la Suisse.

Les objectifs et la politique de la Confédération

En initiant la feuille de route pour la mobilité électrique, pilotée par une équipe composée de représentants de l’Office fédéral des routes (OFROU) et de l’Office fédéral de l'énergie (OFEN), la Confédération a fait le pari de ne pas imposer d’objectif par le haut. Cette initiative vise à mobiliser et structurer des acteurs au sein d’une communauté à même de contribuer à l’adoption accélérée de la mobilité électrique, et à les engager dans un processus de cocréation débouchant sur des objectifs chiffrés et acceptés par tous. Des mesures soutenant l’atteinte de ces objectifs et regroupées par thème ont ainsi été rendues publiques afin d’améliorer la visibilité des actions et toucher un public aussi large que possible.

Aujourd’hui, la feuille de route pour la mobilité électrique regroupe 77 mesures proposées par des organismes extrêmement divers et aux intérêts variés. On y retrouve bien sûr la branche automobile, le secteur de la mobilité ou des promoteurs de l’e-mobilité, mais également diverses associations faîtières telles que la SIA ou l’Association Suisse des Moniteurs de Conduite, des acteurs du monde de l’énergie, des fabricants de bornes de recharges, des autorités communales, cantonales et fédérales, ainsi que quelques poids lourds de l’immobilier.

Le premier objectif de la feuille de route, qui visait 15% de ventes de véhicules dits « branchés » (100% électriques ou hybrides rechargeables) d’ici 2022 ayant été atteint, les différents acteurs regroupés autour de ces paquets de mesures travaillent actuellement aux engagements 2022-2025. Ceux-ci s’articulerons autour de 3 axes principaux. Le premier est l’atteinte d’une part élevée de véhicules rechargeables parmi les nouvelles immatriculations : un minimum de 40% à l’horizon 2025 est actuellement articulé. Le second axe de travail s’articule autour du nombre de stations de recharge publiques, et le troisième a pour ambition de faciliter la recharge des véhicules électriques à domicile. La diversité des intérêts représentés au sein de la communauté crédibilise les objectifs ressortant de ce groupe de travail. De plus, et afin d’en augmenter la portée en leur donnant un statut officiel, ces objectifs pour la période 2022-2025 seront présentés, validés et co-signés en fin d’année par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.

Les engagements pris donnent non seulement des perspectives tangibles aux acteurs actuels de la feuille de route, mais également à d’éventuels nouveaux entrants. Ces actions leur permettent de travailler à des mesures techniques, financières, légales et organisationnelles nécessaires à l’atteinte des objectifs établis pour 2025. La feuille de route reste ouverte en tout temps à des contributeurs intéressés à proposer une mesure alignée sur les objectifs, et qui pourrait être acceptée selon une grille de critères fixées par l’OFROU et l’OFEN.

Bien que des aides directes existent également en Suisse, notamment au niveau cantonal, cette manière de soutenir l’électromobilité est unique. Les pays de l’UE, l’Amérique du Nord et la Chine préfèrent souvent des systèmes de subventions plus directs, parfois massifs, à la charge de l’état. Ces politiques ont également, et peut-être même avant tout, comme conséquence de soutenir les constructeurs automobiles dans leur transition industrielle. Et même si le taux de pénétration de la mobilité électrique doit être rapporté au niveau de vie, en comparaison internationale, la méthode suisse mène à des résultats comparables, voire meilleurs. Comme mentionné précédemment, en 2020, notre pays comptait 14.3% de ventes de véhicules « branchés », contre 13.5% en Allemagne, 11.2% en France, 4.4% en Italie, 9.5% en Autriche, 10.7% en Belgique, 16.4% au Danemark. Les chiffres suisses restent malgré tout encore éloignés de ceux des Pays-Bas (24.6%) ou encore de la Norvège (74.7%). Ce dernier pays octroie des avantages aux véhicules électriques non seulement financiers mais également pratiques comme la possibilité d’emprunter les couloirs réservés au bus. Ces avantages ne sont néanmoins pas sans effets secondaires pouvant se révéler parfois malheureux (pistes de bus occupées par des voitures électriques, augmentation du parc de véhicules - les voitures thermiques n’étant pas toutes éliminées - pertes de revenus fiscaux, etc..).

La révision totale de la loi sur le CO2 ouvre toutefois de nouvelles perspectives d’encouragement à l’électromobilité. L’Art. 206 du projet d’ordonnance sur la loi CO2 en consultation depuis le 14 avril prévoit un soutien à l'installation de bornes de recharge privées. Ce dernier ne serait non pas financé par l’impôt, mais par les instruments d'incitation de la loi qui fonctionnent sur le principe du pollueur-payeur ancré dans la constitution. Ce choix de soutenir indirectement l’électromobilité à travers des bornes de recharge s’explique peut-être également par l’existence de plusieurs entreprises suisses actives sur ce segment.

Les impacts de l’électromobilité

L’arrivée de l’électromobilité va de pair avec de nouveaux défis, notamment liés à la décarbonisation de la chaîne de valeur dont dépend la production des véhicules. Il est ainsi nécessaire de rester vigilant et de ne pas se faire aveugler par ce qui s’apparente parfois à du « greenwashing ». Mais force est de constater que, dans la prolongation de l’annonce de leurs modèles électriques, de très nombreux groupes automobiles se sont engagés à maîtriser et décarboner plus ou moins complètement et rapidement leurs gammes de véhicules. Le groupe Volkswagen annonçait notamment en décembre 2019 qu’il mettait en place des actions dans le but d’atteindre l’objectif de l’accord de Paris d’une société climatiquement neutre à l’horizon 2050. De son côté, Mercedes-Benz AG est membre fondateur de « Transform to Net Zero », une initiative intersectorielle visant à réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre.

électromobilité

La fabrication des batteries reste un élément critique de l’impact environnemental d’une voiture électrique. Mais sur ce point aussi, la pression des ONG et des médias a mené à une résorption des problèmes environnementaux qui lui sont liés. Il est également à relever qu’une filière de recyclage de l’ensemble des composants du véhicule se met petit à petit en place, contribuant à améliorer le bilan environnemental global. Une fois usées et leur capacité de stockage effective réduite, les batteries peuvent être soit recyclées soit reconditionnées pour des applications stationnaires telles que l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau, leur donnant ainsi une deuxième vie et réduisant d’autant leur impact environnemental.

Il serait toutefois erroné de vendre un véhicule électrique en le prétendant entièrement propre. Les infrastructures dont il dépend ont à elles seules un impact important sur l’environnement. Il sera par contre moins « sale » qu’un véhicule thermique comparable, et ce déjà aujourd’hui, également avec un mix énergétique défavorable. L’étude « How clean are electric cars? » publiée en avril 2020 par l’organisation « Transport & Environment » ou encore le documentaire suisse « à contresens » le démontrent de manière crédible. De plus, le potentiel d’optimisation et de décarbonisation des modèles électriques reste très conséquent.

L’impact énergétique de l’électromobilité

Le développement à long terme de l’électromobilité reste quelque peu incertain, mais jusqu’ici, la grande majorité des projections ont été dépassées. Le désinvestissement dans les technologies du moteur thermique annoncé par l’industrie automobile laisse penser que le point de non-retour est atteint, et que les véhicules électriques deviendront la norme dans un avenir pas si lointain. Aujourd’hui, les prévisions semblant les plus réalistes s’attendent à ce que 65-80% du parc automobile soit branché en 2040. En faisant la supposition (très théorique) qu’à l’horizon 2050, quasiment l’entier du parc automobile suisse sera constitué de voitures électriques, cela entraînera une consommation d'électricité supplémentaire de 8 à 10 TWh par an, soit environ 15% de la consommation actuelle d'électricité en Suisse. Ces chiffres sont à mettre en perspectives avec des réductions d’émissions de CO2 chiffrés en millions de tonnes. Bien évidemment, pour que cette transition ait un sens, cette augmentation de la consommation d’électricité devra s’accompagner d’une forte progression des énergies renouvelables telles que le photovoltaïque, l’éolien ou encore l’hydraulique.

Pour conclure

La mobilité, même électrifiée, restera encore longtemps énergivore et relativement gourmande en ressources non-renouvelables. Le passage à l’électromobilité laisse toutefois entrevoir de nouvelles perspectives positives en termes de décarbonisation. Si cette solution n’est certes pas parfaite, elle reste un grand pas en avant du point de vue de la réduction des émissions de C02 et permettra à la Suisse de se rapprocher de l’atteinte de ses objectifs de neutralité carbone.


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