Comment aborder cette transition ?
29 avril 2021 6 min
Christian Rod

Spécialiste énergie
-

En 2015 s’est tenue à Paris la conférence sur les changements climatiques, également nommée COP21. Cette conférence, dont l’objectif était « d'aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique » a débouché sur l’accord de Paris, une feuille de route de réduction des émissions de gaz à effet de serre devant permettre de maintenir l’élévation moyenne des températures en dessous du seuil de 2°C. Deux ans plus tard, en 2017, la Suisse a ratifié cet accord et s’est engagée ainsi à réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Plus précisément, au moment de la ratification, l’objectif était d’atteindre une réduction des niveaux d’émissions de 20% en 2020 et de 50% d’ici 2030 en comparaison de ceux de 1990.

Bien que des efforts importants aient été consentis, force est de constater que le premier jalon de cette feuille de route ne sera malheureusement pas atteint. En effet, selon les chiffres 2018 (les plus récents de l’inventaire des émissions de gaz à effet de serre de l’OFEV), la réduction moyenne prévue pour l’année 2020 n’est que de 13.6%. Néanmoins, en s’attardant sur les chiffres différenciés par secteur, certains d’entre eux dépassent déjà largement l’objectif de 20%. C’est notamment le cas de celui du bâtiment, principal contributeur en 1990 dont les émissions ont baissé de près d’un tiers, notamment grâce à un programme dédié mis en place en 2010. Ce résultat très encourageant est cependant partiellement compensé par les émissions liées aux transports qui ont très légèrement augmenté sur la même période. En 2018, ce secteur représentait ainsi environ un tiers des émissions totales, devenant ainsi le principal contributeur, devant les bâtiments et l’industrie.

Ce classement s’explique en partie par le fait que les transports représentent la plus grande part de la consommation finale d’énergie en Suisse : 37.7% en 20181. Or, la consommation d’énergie de ce secteur est presque exclusivement constituée de carburants d’origine fossile : essence, diesel et carburant d’aviation. Les ménages occupent quant à eux la seconde place des plus importants consommateurs d’énergie en Suisse, leur contribution s’élevant à un peu plus d’un quart. Encore une fois, la majeure partie de cette énergie (62%) implique des carburants fossiles utilisés pour répondre aux besoins en chauffage. En effet, en Suisse, les énergies fossiles chauffent encore deux tiers des bâtiments d’habitation.

Ces deux secteurs présentent donc le principal potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre, au travers non seulement d’une réduction de leur consommation finale d’énergie, mais également en assurant leur transition vers des formes d’énergie moins riches en carbone. Cette seconde approche est également appelée décarbonisation et est très souvent associée à l’électricité. En effet, si celle-ci est produite à partir de ressources renouvelables, telles que l’eau, le soleil ou le vent, son utilisation en lieu et place de carburants fossiles permet de réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre, comme le décrit la suite de cet article.

L’électrification de la mobilité

La transition du secteur des transports vers l’énergie électrique est en bonne marche, particulièrement en ce qui concerne le parc automobile. Encore confidentiels il y a quelques années, les véhicules électriques représentaient plus de 13% des nouvelles immatriculations en Suisse en septembre 2020. Ce chiffre se monte même à plus de 20% si on y ajoute les véhicules hybrides rechargeables. L’engouement pour ce type de véhicules est tel que les nouvelles immatriculations dépassent aujourd’hui déjà les objectifs pour 2022 fixés par la Confédération dans sa feuille de route pour la mobilité électrique dont le but est de réduire les émissions liées au trafic routier. En effet, les véhicules électriques n’émettent pas directement de CO2 en roulant, puisque qu’aucune réaction de combustion de carburant fossile n’a lieu dans le moteur. En revanche, des émissions ont lieu lors de la production de l’électricité stockée dans leur batterie.

La quantité de gaz à effet de serre liée à la production d’électricité, traditionnellement exprimée en équivalent C02, dépend directement de la manière dont cette électricité est produite. Ainsi, 1 kWh nécessite l’émission de 5 à 10 gC02éq/kWh s’il est issu d’une production hydraulique, de 8 à 27 gC02éq/kWh s’il est produit par une éolienne en Suisse, et de 25 à 110 gC02éq/kWh s’il provient de panneaux photovoltaïques, la largeur de cette dernière fourchette s’expliquant par les différences entre les différentes technologies considérées2. Ces valeurs apparaissent comme particulièrement faibles au regard des quelques 1000 gC02éq/kWh nécessaire à la production du même kilowattheure par une centrale à charbon.

En moyenne, l’électricité produite en Suisse présente une intensité carbone de 33 gC02éq/kWh, une valeur particulièrement basse en comparaison internationale en raison de la forte proportion d’hydraulique et de nucléaire dans notre mix électrique. Néanmoins, cette valeur ne correspond pas à celle de l’électricité que nous soutirons de nos prises et avec laquelle nous rechargeons nos véhicules électriques, ceci en raison des importations nécessaires au bon fonctionnement du réseau électrique. Ainsi, 1 kWh consommé en Suisse requiert l’émission d’environ 129 gC02éq/kWh3.

Une voiture électrique consomme en moyenne 0.2 kWh pour parcourir 1 km. À titre de comparaison, cette quantité d’énergie est similaire à celle consommée par une bouilloire électrique fonctionnant 6 minutes. En se référant aux émissions équivalentes de l’électricité consommée en Suisse, les émissions des véhicules électriques peuvent être estimées à environ 26 gC02éq/km, soit presque quatre fois moins que les prescriptions actuelles de la Confédération pour les nouvelles immatriculations. En considérant ces prescriptions comme une valeur de référence pour les voitures de tourisme conventionnelles et les quelque 47 milliards de kilomètres parcourus par celles-ci en Suisse en 20004, l’électrification du parc automobile représente un potentiel de plus de 3.2 millions de tonnes de CO2 par année, soit presque 7% du total des émissions en 2018.

Cependant, il est important de relever qu’un tel niveau d’électrification représenterait une augmentation significative de la consommation d’électricité en Suisse. Pour que cette transition vers l’électricité garde son sens du point de vue climatique, il est impératif que cette augmentation soit couverte par des ressources renouvelables telles que celles évoquées plus haut.

L’électrification du chauffage

L’électrification du chauffage des habitations n’est pas une idée nouvelle. Il est néanmoins important dans ce contexte de distinguer les chauffages électriques directs et indirects. Dans le premier cas, l’énergie électrique est transformée en énergie thermique par l’intermédiaire d’un corps de chauffe, et ceci sans passer par une forme intermédiaire. Du point de vue énergétique, ces systèmes ont un excellent rendement puisque toute l’énergie électrique et convertie en chaleur. Malgré tout, l’installation de ce type de chauffage est progressivement restreinte, voir interdite. En effet, ce rendement « parfait » de 100% ne prend pas en compte les pertes d’énergie durant la production de l’électricité. Si celle-ci est produite à partir d’énergie fossile, comme dans une centrale à gaz, il devient énergétiquement préférable d’utiliser directement ce gaz dans une chaudière. De plus, l’électricité est une forme d’énergie de plus haute qualité, et par conséquent de plus grande valeur, que la chaleur. La convertir directement sous cette forme représente une forme de gâchis au sens où l’énergie électrique pourrait être mieux employée en alimentant des appareils ménagers ou industriels par exemple. Ceci est d’autant plus vrai en hiver lorsque la production indigène n’est pas suffisante et que des importations sont nécessaires pour compenser ce manque.

Mais comme mentionné plus haut, il existe une forme de chauffages électriques : les systèmes indirects ou « pompes à chaleur ». Bien que fonctionnant également à l’électricité, ces appareils possèdent un avantage majeur : ils délivrent en moyenne quatre fois plus d’énergie thermique qu’ils ne consomment d’énergie électrique. L’électricité y est utilisée pour extraire de la chaleur de l’extérieur du bâtiment puis pour l’amener vers l’intérieur, notamment grâce à un compresseur. Cette chaleur puisée dans l’air ambiant ou dans le sol ne consomme aucune ressource et est par conséquent gratuite et infinie. Ainsi, remplacer les chauffages à énergie fossile dominant actuellement le secteur du bâtiment par des pompes à chaleur permettrait de réduire significativement la consommation finale d’énergie ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. Ce potentiel d’économie de CO2 peut être aisément illustré par une comparaison des émissions équivalentes d’une pompe à chaleur et d’une chaudière à gaz.
Pour délivrer 1 kWh thermique, une pompe à chaleur moyenne devra consommer 0.25 kWh électrique. En reprenant la charge carbone de 129 gC02éq/kWh, cette consommation engendre environ 32 gC02éq/kWhth. À titre de comparaison, une chaudière à gaz à condensation émettra presque 190 gC02éq pour délivrer la même quantité de chaleur, soit presque six fois plus. En 2019, les ménages suisses ont consommé 13.26 TWh de gaz naturel, principalement afin de produire de la chaleur. Si celle-ci était produite par des pompes à chaleur, les économies annuelles d’émissions de gaz à effet de serre dépasserait les 2 millions de tonne équivalent-CO2 !

Mais l’électrification n’est pas le seul moyen de réduire massivement les émissions liées au chauffage des bâtiments. Contrairement au secteur de la mobilité, d’autres sources d’énergie avec une faible teneur en carbone sont disponibles. Le solaire thermique ou le bois en sont d’excellents exemples. De plus, l’efficacité énergétique a également un rôle très important à jouer. En travaillant principalement sur l’isolation des bâtiments, il est ainsi possible de réduire significativement la consommation d’énergie sans impacter la température intérieure.

Conclusion

L’efficacité énergétique et l’électrification des principales sources actuelles d’émissions de gaz à effet de serre font indubitablement partie des solutions qui permettront de maîtriser autant que possible le réchauffement climatique. Néanmoins, il est important de garder à l’esprit qu’à l’échelle de la Suisse, il s’agit d’une mutation en profondeur du système énergétique.

Premièrement, même si la quantité totale d’énergie consommée diminuera, cette transition augmentera de manière significative la consommation d’électricité dans le pays. Celle-ci devra impérativement être accompagnée d’une augmentation comparable de la production. Pour que cette électrification ait vraiment un sens du point de vue écologique, ce supplément de production devra nécessairement provenir de sources renouvelables.

Deuxièmement, l’électrification de la mobilité et du chauffage ne modifiera pas seulement l’amplitude de la consommation d’électricité mais également sa forme. Les pompes à chaleur créeront ainsi une forte demande hivernale, une saison durant laquelle la production indigène est aujourd’hui déjà insuffisante. De même, la recharge des véhicules électriques est susceptible de se concentrer durant la nuit, actuellement une période de plus faible consommation. Le mix de production ainsi que les systèmes de transport et de distribution de l’électricité devront donc être adaptés afin de répondre à ces nouveaux défis, et ceci à tous les niveaux.

Finalement, même si les réseaux électriques européens sont interconnectés, l’électricité reste une forme d’énergie locale, du moins par opposition aux carburants fossiles importés en Europe par bateaux et pipelines. Même si la Suisse et l’Europe disposent de raffineries et de cuves de stockage, une part importante des installations permettant la production de ces carburants se trouvent actuellement à l’étranger. L’électrification des secteurs reposant aujourd’hui majoritairement sur ces énergies fossiles constitue ainsi une forme de relocalisation de la production d’énergie et pourrait remettre en question certains équilibres commerciaux en plus de rendre la construction de nouvelles infrastructures énergétiques en Suisse nécessaire.

Bien que nombreux, ces défis ne sont pas insurmontables. La réduction des émissions de gaz à effet de serre constatée sur les 30 dernières années et l’essor des véhicules électriques évoqués plus haut en sont la preuve.

1: Statistique globale suisse de l’énergie 2019, OFEN.
2: « Potentiels, coûts et impact environnemental des installations de production d’électricité -synthèse », étude du Paul Scherrer Institut sur mandat de l’OFEN, 2017
3: F. Vuille, D. Favrat et S. Erkman, « Les enjeux de la transition énergétique Suisse, comprendre pour mieux choisir : 100 questions-réponses », Swiss energyscope, 2015
4: « Distances parcourues par les véhicules suisses - Résultats de l’enquête périodique sur les prestations kilométriques(PEFA) 2000 », ARE, 2002


LAISSEZ UN COMMENTAIRE

* Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Share on Linkedin Share on Twitter