Apprendre à s’affranchir du pétrole dans les nombreux secteurs qui en dépendent.
28 février 2022 6 min
Hélène Monod

Rédactrice
Romande Energie

Apprendre à se passer du pétrole pour limiter, notamment, le dérèglement climatique, ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Pour s’y préparer, le mouvement de la transition se veut positif et encourageant. Sans attendre, il faut imaginer et apprendre à vivre avec le moins de pétrole possible, mais sans perdre en qualité de vie, bien au contraire. Prêts pour l’aventure ?

Une transition : vers quoi et pourquoi ?

La transition se définit comme « un état, un degré intermédiaire, un passage progressif entre deux états, deux situations ». La transition implique un avant et un après, et elle consiste en cet entre-deux, cette phase où l’on se prépare à cet après qu’on ne connaît pas encore. Sans phase de transition, les changements sont brutaux, difficiles à vivre. Ainsi, la transition permet d’envisager une rupture dans l’organisation de nos sociétés, sans pour autant invoquer la violence ou la révolution. L’idée de « transition » se décline aujourd’hui sous plusieurs formes : « transition écologique », « transition énergétique », « transition post-carbone », « sustainability transitions », « transition citoyenne », « villes et territoires en transition ». Pour les acteurs du mouvement des initiatives de transition, cet entre-deux consiste à apprendre à se passer du pétrole en testant des nouveaux modes de vie, de nouvelles formes d’économies et de consommation, etc. Le tout en évitant au maximum le chamboulement que cela pourrait engendrer et en s’y préparant dans les meilleures conditions possibles.

Apprendre à s’affranchir du pétrole dans les nombreux secteurs qui en dépendent

En 2018, la moitié de l'énergie consommée en Suisse était dérivée de produits pétroliers : les carburants représentent 35% de la demande (destinés à la production d'énergie mécanique dans les moteurs) et les combustibles pétroliers 14% (utilisés pour le chauffage). Mais notre dépendance au pétrole va plus loin que son utilisation pour nous déplacer ou nous chauffer. Il est utile pour un grand nombre de nos produits quotidiens (plastiques, solvants, cosmétiques, textiles), pour la construction de routes (90% de la production mondiale de bitume est issu des pétroles lourds), ou pour la production de nombreux engrais et pesticides. D’ailleurs, l’agriculture industrielle dépend également totalement du pétrole. Ainsi, aujourd’hui, toute notre organisation sociale est basée sur l’accès aisé à cette ressource : nos logements, notre alimentation, nos déplacements, les objets que nous utilisons, l’organisation du territoire, la sécurité alimentaire et l’agriculture, etc. D’où l’importance d’apprendre dès aujourd’hui à s’habituer à fonctionner sans.

De très nombreuses initiatives possibles

Une des forces du mouvement est qu’il permet d’impliquer un grand nombre de personnes selon leurs intérêts respectifs. De très nombreuses actions peuvent être imaginées et mises en œuvre par un groupe d’habitants. Par exemple : monter un projet d’énergie renouvelable citoyenne, créer des jardins partagés dans des espaces délaissés au cœur des quartiers, former les jardiniers à la permaculture, mettre en place une grainothèque pour conserver des espèces oubliées, construire et faire vivre un four à pain, apprendre à réaliser des conserves, mettre en place des initiatives d’agriculture contractuelle de proximité ou une monnaie locale, organiser des ateliers de couture, de réparation d’objets ou de fabrication de produits cosmétiques, constituer un groupement d’achats, réaliser une épicerie participative. Il y en a pour tous les goûts !

Il s’agit ainsi de développer une société dans laquelle les échanges sont locaux, les exploitations agricoles plus petites et polyvalentes, la consommation d’énergie drastiquement réduite, les énergies renouvelables produites localement. Une société dans laquelle l’utilisation des transports en commun, de l’autopartage et du vélo est largement pratiquée, le tourisme longue distance et l’étalement des villes sont sensiblement réduits, l’efficience énergétique des logements et les habitats groupés sont développés.

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Objectifs du mouvement de la transition

Le mouvement a été créé en 2006 à Totnes en Grande-Bretagne, à l’initiative de Rob Hopkins, un enseignant en permaculture. Le projet a connu un grand succès et le mouvement s’est rapidement répandu dans le monde entier. Aujourd’hui, il existe environ 1000 initiatives de transition dans plus de 50 pays. Le terme initial de « Villes en transition » a été transformé en « Initiatives de transition » car elles ne naissent pas seulement en ville, mais aussi dans des quartiers ou à la campagne. Ces initiatives forment un réseau mondial, le Transition Network. Elles touchent à tellement d’aspects de la société qu’on parle de « mouvement » de la transition.

Le mouvement de la transition souhaite :

Renforcer la résilience et réapprendre les savoir-faire oubliés

Le concept de résilience est utilisé dans de nombreux domaines, comme en psychologie pour désigner la capacité d’un individu à surmonter un traumatisme, ou en écologie pour décrire la capacité d’un écosystème à intégrer une espèce invasive. Ici, il s’agit de se préparer au choc de l’ensemble des crises liées au dérèglement climatique et à l’affranchissement du pétrole, notamment. Le mouvement parle de reconstruction de la résilience locale plutôt que de construction, car les communautés locales étaient encore résilientes il y a seulement quelques décennies, avant que le pétrole n’ait bouleversé les modes de vie. Un exemple parlant est la manière par laquelle le Royaume- Uni a su résister au blocus dont il a été victime pendant la Seconde Guerre mondiale : du jour au lendemain, le pays entier a dû revenir à une forme d’autosuffisance alimentaire, et cela ne fut possible que parce qu’il existait encore dans la population des savoir-faire aujourd’hui bien plus rares, comme entretenir un potager, faire des conserves, élever des poules ou des lapins, réparer, coudre, bricoler. Le « ré-apprentissage des savoir-faire » est donc l’un des buts des villes en transition, qui tentent de revivifier la vie locale en suscitant le partage de ces connaissances pratiques dans les écoles, dans les maisons de retraite ou encore des associations locales. D’ailleurs, l’un des ingrédients du mouvement est d’impliquer les seniors, qui ont connu une organisation sociale bien moins dépendante du pétrole, pour un partage d’expérience et la transmission des savoir-faire.

Favoriser le retour au local

Les initiatives de transition remettent « le local » au cœur de leur réflexion. Retour au local de l’agriculture, de l’économie (monnaies locales, Système d’Echange Local), de l’énergie, du tourisme, etc. Les « transitionnaires » valorisent les bénéfices écologiques et humains de ces relocalisations, notamment en termes de solidarité, de convivialité ou d’autonomie. Par ailleurs, l’échelle locale permet aux citoyens de proposer des solutions adaptées à leur quotidien et de passer concrètement à l'action.

Un exemple qui a inspiré les villes en transition est celui d’Overtornea, petite ville suédoise de 6’000 habitants. Fortement atteinte par la crise de 1980 (20 % de la population active était au chômage, 25 % partait pour les grands centres urbains), les autorités ont tenté d’y remédier en adoptant un type de développement sur le modèle des villes en transition. Résultat : en six ans, près de 200 entreprises et quelques milliers d’emplois ont été créés dans l’agriculture biologique, l’éco-tourisme, l’apiculture ou la pisciculture. Cet exemple montre également qu’une requalification de la population est nécessaire : les citoyens doivent réapprendre à cultiver, être capables de réparer les objets, etc.

Collaborer

Une des marques de fabrique du mouvement de la transition est l’idée de faire ensemble : se réunir à plusieurs pour créer une initiative, favoriser l’intelligence collective, se mettre en réseau, partager. Autant de mots qui reviennent régulièrement dans la description du mouvement. Pas de chasse gardée, ni de prise de pouvoir dans ce mouvement, mais le souhait de collaborer et d’avancer ensemble pour faire face aux défis qui nous attendent tous.

Donner envie

Un aspect important du mouvement est de créer une vision positive de l’avenir, de donner une vision attrayante d’une société sans pétrole, porteuse de sens, festive, créative et conviviale. Sans culpabiliser ni faire peur, le mouvement cherche à motiver les gens à imaginer et créer la société qui leur fait envie.

En Suisse romande, de nombreuses initiatives existent déjà. Interview de Martin Gunn-Sechehaye du Réseau Transition Suisse Romande

Martin-Gunn-Sechehaye

Vous êtes l’un des trois salariés du Réseau Transition Suisse Romande. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce réseau ?

Un des ingrédients du mouvement de la transition est la mise en réseau des initiatives de transition, localement et internationalement. Le réseau crée ainsi le lien entre les différentes initiatives, et favorise les échanges d’expériences et les rencontres, notamment lors des journées de la transition. Le réseau consiste également à faire connaître le mouvement, et à accompagner les personnes qui souhaitent créer une initiative, au moyen de formations notamment.

Vous avez intégré le mouvement de la transition d’abord comme bénévole, puis comme stagiaire et enfin comme salarié. Qu’est-ce qui vous a particulièrement motivé ?

Son côté positif et orienté solutions. Je partage le constat qu’il faut agir et vite - j’ai d’ailleurs participé à d’autres mouvements comme Extinction Rebellion. J’aime le fait qu’il suscite la créativité et l’imagination pour se projeter vers d’autres manières de vivre ensemble : on est trop souvent limités par la vision imposée par la société patriarcale et consumériste : c’est difficile parfois de s’en défaire et le mouvement de la transition nous aide à imaginer d’autres voies possibles. Par ailleurs, le mouvement agit également sur sa capacité à bien « être ensemble » autant que « faire ensemble ». L’aspect de la transition personnelle pour y parvenir est également important.

Si quelqu’un souhaite lancer une initiative, comment peut-il s’y prendre ?

Il existe un guide pour accompagner celles et ceux qui souhaitent initier un mouvement de transition. Ce guide décrit concrètement comment s’y prendre et met l’accent sur l’importance d’être à plusieurs pour se lancer et sur la manière de s’appuyer sur le réseau existant pour maintenir l’engagement bénévole de ses membres.

Un petit coup de projecteur sur une initiative qui vous plaît particulièrement ?

C’est difficile de choisir parmi tous les projets, mais j’aime particulièrement le journal biennois « Vision 2035 », porte-voix des initiatives de transition. Le journal participatif permet à chacun de montrer tout ce qui se fait à Bienne en termes de transition et valorise ces initiatives. Il donne envie d’agir.

Quelles sont les difficultés auxquelles les transitionnaires sont confrontés et comment pourrait-on réduire ces blocages ?

Le mouvement de la transition est un mouvement citoyen, un mouvement de bas en haut. Mais pour que certains des projets initiés puissent se réaliser, il faut que les politiques s’engagent aussi : qu’ils osent transformer des espaces délaissés en jardins potagers, développer des pistes cyclables, soutenir des monnaies locales, etc. C’est parfois difficile pour les transitionnaires d’obtenir ce soutien politique. Nous serions ainsi heureux que ces politiques osent parfois tester des nouvelles manières de penser l’avenir de leurs communes, de concert avec les initiatives portées par tous les acteurs de la transition.


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